Aline
Gaumont

Aline sort enfin au cinéma.

Reporté d'un an à cause de l'épidémie de Covid-19, Aline arrive cette semaine dans les salles obscures. Première avait rencontré toute l'équipe du film de Valérie Lemercier pour le n°512 (novembre 2020 avec David Fincher en couverture).

Quatre ans après la déception Marie-Francine, Valérie Lemercier opère un retour en force avec Aline, son biopic déguisé de Céline Dion. Première vous dévoile les coulisses du film français le plus cher de l’année, en compagnie de ceux qui l’ont fait.
Par Christophe Narbonne.

Dis-moi Céline, Aline Dieu, Aline… Valérie Lemercier a beaucoup tâtonné avant d’arrêter le titre de son nouveau film, un biopic de Céline Dion. Enfin, biopic, oui mais non. Plutôt « un film au parfum de Céline Dion » : Aline est la projection de la vie rêvée d’une star planétaire comblée par les honneurs, le public et son histoire d’amour avec son mari-pygmalion – René Angélil, rebaptisé ici Guy-Claude. Aucune ironie derrière tout ça. Ce film-doudou (écrit sans le concours de la chanteuse québécoise dont l’entourage a cependant validé tacitement le contenu) s’inscrit logiquement dans l’univers enchanté singulier de Valérie Lemercier, peuplé de gamines qui ne veulent pas grandir et qui ne voient dans le genre humain que bonté et bienveillance.

L’actrice-scénariste-réalisatrice l’a porté pendant près d’un an. « Le temps de maturation et d’écriture a été assez long », confirme Édouard Weil, son producteur depuis Palais Royal ! « Après avoir assisté ensemble au concert de Céline Dion à Bercy, en juillet 2017, nous avons convenu qu’il fallait faire un film à la fois intime et spectaculaire. La ferveur et l’amour du public combinés au côté monumental du show nous en avaient convaincus. Nous devions voir grand. » Voir grand. En termes comptables, cela veut dire 23,5 millions d’euros. Un budget considérable pour un film sans noms ronflants – à part celui de Lemercier – mais dont l’ambition est de traduire visuellement la démesure qui entoure Céline Dion, cette artiste capable de se produire plus de mille fois, durant seize ans, au Caesars Palace de Las Vegas, devant 4 000 personnes en moyenne ! Aline a coûté cher mais pour de bonnes raisons : l’argent est à l’écran et pas ailleurs. Un tournage itinérant (France, Québec, Espagne), une soixantaine de décors (naturels et en studio à Bry-sur-Marne dont les trois plateaux ont été requis), plus de 150 costumes (créés ou chinés), des tonnes d’accessoires, beaucoup d’effets visuels, de maquillage… Sans compter les droits des chansons.

TF1 et Gaumont, partenaires financiers de Rectangle Productions, la société d’Édouard Weil, n’ont jamais tremblé devant l’ampleur du défi. Même quand Jérôme Commandeur, initialement prévu pour jouer Guy-Claude, a été écarté du film au profit du Québécois Sylvain Marcel, inconnu en France. « Plus le projet avançait, plus il apparaissait évident que le film devait avoir une forte identité québécoise, explique Édouard Weil. TF1 et Gaumont l’ont bien compris. » Valérie Lemercier module un peu. « Ils ont tout de même un peu tiqué avant de se ranger à notre point de vue. Avec Jérôme et moi, le film aurait tourné au sketch. Non seulement pour des questions d’accent, mais aussi de physique. Je suis grande et large d’épaules, il me fallait un partenaire imposant. Sur une photo que j’avais faite avec Jérôme pour le magazine Gala à peu près au même moment, il se blottissait contre mon épaule comme si j’étais sa maman ! Ça ne marchait pas. Il l’a bien compris. » Le choix d’un casting majoritairement local et de tourner partiellement dans la Belle Province achèvera de convaincre les investisseurs québécois de participer à l’aventure à hauteur de 10 % du budget.

Avec Aline, Valérie Lemercier tente quelque chose d’inédit : le biopic de fan [critique]

Lemercier sur tous les fronts

Pour mener à bien son projet, Valérie Lemercier s’appuie sur l’équipe technique de Marie-Francine, notamment sur le directeur de la photographie Laurent Dailland, la chef décoratrice Emmanuelle Duplay, la créatrice des costumes Catherine Leterrier et la chef maquilleuse Marie Lastennet. « Travailler avec des gens de confiance permet d’aller plus vite, déclare-t-elle. Quand vous décidez de changer de pull cinq minutes avant une prise, ça ne doit pas poser de problème insurmontable. Bizarrement, les personnes qui ont de la bouteille sont plus souples que les jeunes. Pour Catherine Leterrier, qui a travaillé avec Michael Haneke, rien n’est compliqué. Ça n’a pas de prix. » Valérie Lemercier sait de son côté ce qu’elle veut. « J’ai demandé que la masure, la petite maison familiale de la famille Dieu, soit construite en studio pour l’adapter aux exigences du scénario. Il était évident qu’on ne trouverait pas une bâtisse où je pourrais sortir par la fenêtre avec mon énorme robe de mariée ; ni un escalier que je pourrais dévaler dans la même tenue. Tout était pensé en fonction de la mise en scène. » « À notre premier rendez-vous, Valérie est arrivée avec plein d’idées, embraye Emmanuelle Duplay. Elle avait dessiné des croquis et déjà commandé des éléments de décor sur internet… Pour la masure, on a fait venir par conteneurs des meubles et des accessoires chinés au Canada ; on a reproduit à l’identique un lino qu’on avait aussi repéré là-bas. Valérie s’intéresse autant à l’identité visuelle générale que particulière de ses films et tient aux effets artisanaux “à la Méliès”. Dans les scènes où elle joue Aline enfant, elle évolue dans des décors et des perspectives qui l’écrasent un peu. À un moment donné, elle est assise dans une chaise 1,8 fois plus grande que la moyenne ! »

Pour les nombreux costumes du film, Catherine Leterrier a ouvert un atelier où ses collaborateurs ont travaillé d’arrache-pied pendant trois mois. « Chaque costume était conçu avec le dessous qui va avec, comme dans la haute couture, détaille-t-elle. Comme c’est du cinéma, il faut tenir compte des mouvements des personnages. Pour jouer Aline petite, Valérie porte ainsi des chasubles étroites cousues dans du tissu un peu épais pour entraver sa gestuelle juste ce qu’il faut. Elle sait en effet ce qu’elle veut, mais elle n’est pas contre l’imprévu. En préparation, nous avions fait des tests pour voir ce que donnait un côté bidouillé à certains vêtements qu’aurait cousus maladroitement la mère d’Aline. On avait notamment créé un petit gilet en feutrine, matière utilisée pour les déguisements. Quand Valérie l’a vu, elle l’a conservé pour la scène où Aline chante enfant devant sa mère. » Marie Lastennet souligne, elle aussi, le défi représenté par le film. « Le maquillage, ce n’est pas que de la poudre ou du fard. On met des cils ou pas, on crée éventuellement des prothèses, on modifie, comme ici, les dents et les oreilles. Aline, c’était deux à trois heures de maquillage par jour, rien que pour Valérie qui a des intuitions géniales. Pour que les Dieu aient tous un air de famille, elle a demandé qu’on fasse un moulage de son nez pour en tirer des prothèses dont certains de ses partenaires ont été affublés ! »

Valérie Lemercier : "Aline est une vision à la fois fidèle et fantasmée de Céline Dion"

La voix du succès

Après quinze semaines de tournage, de mi-mars à fin juin 2019, vient le temps de la postproduction. Les scènes de concert, tournées sur des fonds verts, sont notamment finalisées par les spécialistes des effets visuels qui retouchent d’autres plans, ici et là – par exemple, pour accentuer le rajeunissement de Valérie Lemercier.

Début 2020 commence le casting de celle qui doublera vocalement l’actrice. Cinquante chanteuses sont auditionnées. « J’ai été approchée via un ami commun par le directeur de casting, Bruno Berberes, qui m’a demandé de lui envoyer un essai sur deux chansons : Pour que tu m’aimes encore et My heart will go on, se souvient Victoria Sio. Ne chantant plus dans ce genre de tessiture, je lui ai demandé pourquoi. Il m’a dit de lui faire confiance – j’ai su après qu’il connaissait mes imitations de Céline Dion sur scène. » Révélée en 2005 par la comédie musicale Le Roi Soleil, puis par la saison 2 de l’émission The Voice, en 2013, Victoria Sio n’est plus une débutante. Le trac l’a tout de même gagnée. Un trac renforcé par l’attente. « Après ma première tape, la production d’Aline m’a rappelée et expliqué le projet. J’ai refait deux essais, puis le confinement est survenu. Plus de nouvelles pendant deux mois… Mi-mai, Pascal Mayer, le superviseur musical du film, m’a recontactée pour me dire que j’avais été choisie ! J’avais deux semaines pour apprendre une quinzaine de chansons de Céline Dion, avec l’accent et les intonations. Je suis aussitôt allée voir mon phoniatre pour savoir si mes cordes vocales pouvaient tenir ! (Rires.) De début juin à mi-juillet, ça a été du studio nonstop. J’étais entourée de Pascal Mayer, Laurent Marimbert et Rémy Galichet, les directeurs musicaux, de Guilain Ranouil, l’ingénieur du son, et, évidemment, de Valérie. Avant chaque chanson, elle me coachait comme une actrice en me disant ce que le titre racontait. Plus qu’une performance, elle cherchait un supplément d’âme. Mais me reprenait si j’apportais une petite vibe personnelle ! Elle a une super oreille. »

La production a obtenu les droits de rechanter une quinzaine de morceaux, sauf The Power of Love au désespoir de Valérie Lemercier. « La chanteuse et auteure d’origine n’a pas voulu qu’on la reprenne, se désole cette dernière… C’est le seul accroc qu’on ait rencontré. Raphaël Hamburger, le fils de Michel Berger, a de son côté demandé un droit d’écoute pour Ziggy. Notre version lui a plu. » Au total, les droits musicaux n’auront coûté « que » 1,3 million d’euros, ce qui représente un peu plus de 5 % du budget. À la demande de Valérie Lemercier, Victoria Sio a refait quelques ajustements vocaux en septembre, suite au retour des premiers spectateurs : il s’agit en effet de ne pas décevoir la fanbase à laquelle la réalisatrice est attachée. Rassurés sur ce point par les avant-premières en province, Valérie Lemercier et Édouard Weil sont désormais conscients des enjeux d’une sortie en pleine crise sanitaire. « J’espère que les exploitants joueront le jeu en gardant le film un peu plus longtemps, conclut le producteur. Je suis confiant. Nous sommes revenus dans un marché d’offres ; les gens vont vraiment voir ce qu’ils ont envie de voir. » Aline sera-t-il le hit de l’automne ?

La bande-annonce d'Aline :