Le réalisateur de La Nuit des morts vivants aimait beaucoup Shaun of the Dead.
Dimanche soir, Arte poursuivra son cycle estival britannique avec la diffusion de Shaun of the Dead, une comédie horrifique détonante sur les zombies. Pour sa sortie française, en juillet 2005, Première avait organisé une interview avec son réalisateur, Edgar Wright, l’un de ses deux acteurs principaux, Simon Pegg, qui est également coscénariste du projet, et le maître de l’horreur George Romero, qui sortait alors Land of the Dead.
Le cinéaste est mort récemment, et en relisant cet entretien, on sent bien à quel point Wright admirait son travail et s’en était inspiré pour Shaun. Il a d’ailleurs rendu hommage à Romero au sein d’une lettre ouverte touchante.
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Voici leur échange, en attendant de (re)voir Shaun of the Dead sur Arte.
PREMIÈRE / Dans quelles circonstances vous êtes-vous rencontrés?
EDGAR WRIGHT / La première fois, c’était sur le plateau de Land of the Dead, en novembre dernier.
GEORGE ROMERO / Auparavant, nous nous étions téléphoné. J’étais en Floride, sur une île, lorsque Universal [qui distribue “Shaun of the Dead” aux États-Unis] m’a fait parvenir une copie du film pour avoir mon avis. J’étais seul dans la salle, mais le porteur de la copie, qui ressemblait à un agent secret, m’a surveillé pendant toute la projection.
SIMON PEGG / Je trouve suprêmement ironique que le studio ait pu imaginer que tu allais pirater notre film. On n’a fait qu’exploiter une idée dont tu es l’auteur. Nous l’avons adaptée dans un contexte différent, mais je crois que nous avons touché juste.
ROMERO / Juste n’est pas le mot. J’ai senti tant de respect et d’affection pour le sujet dans votre film! Sans compter l’habileté technique et les performances d’acteurs! Je ne pouvais que l’apprécier.
WRIGHT / Avoir ton approbation nous a immensément aidés. Ça nous a permis de préciser les choses et de montrer que nous n’étions pas des rigolos qui cherchaient à faire une parodie à peu de frais.
PEGG / Avec La Nuit des morts-vivants dans les années 60, tu as créé un monstre contemporain en mélangeant l’héritage vaudou à un soupçon de vampirisme et de cannibalisme. Comment es-tu arrivé à ce résultat?
ROMERO / Je me suis inspiré d’un roman de Richard Matheson, Je suis une légende, qui a eu deux adaptations: Le Survivant [Boris Sagal, 71] et Je suis une légende [Ubaldo Ragona et Sidney Salkow, 63].
WRIGHT / ... Avec Vincent Price.
ROMERO / L’histoire originale racontait comment, à la suite d’une maladie, tout le monde se transformait en vampires. Le livre débutait avec un seul survivant. J’ai pensé qu’il serait intéressant de remonter aux débuts de l’épidémie. Je ne voulais pas utiliser les vampires parce qu’ils avaient déjà été exploités. Initialement, je n’ai pas considéré les créatures comme des zombies mais plutôt comme des goules, qui, à la base, sont des mangeurs de chair humaine. Je pensais appeler le film «La Nuit des mangeurs de chair humaine».
WRIGHT / À l’époque, la mode du film d’horreur gothique en costumes avait du plomb dans l’aile. Tu es arrivé avec un style très novateur: des tournages en extérieurs, peu de décors et beaucoup de caméra portée qui rappelait la Nouvelle Vague française...
ROMERO / Nous étions limités par le budget, mais notre indépendance nous permettait de travailler comme nous voulions. Je crois que vous avez procédé de la même façon sur Shaun of the Dead. On dirait un film à 30 millions de dollars.
PEGG / C’est l’avantage de travailler en dehors du système des studios: la qualité obtenue est incomparable.
WRIGHT / Par la suite, tu as continué à profiter de cette liberté pour donner à Zombie [78] une dimension épique: le film dure plus de deux heures alors qu’à l’époque la limite à ne pas dépasser pour un film d’horreur standard était de 90 minutes.
ROMERO / Zombie était un projet assez ambitieux. On l’avait budgété à six millions de dollars, mais les investisseurs ne voulaient pas dépenser une telle somme sur un film qui ne serait pas classé. Avec seulement le quart du budget prévu, nous avons réussi parce que nous y avons cru. Et nous avons aussi trouvé des solutions techniques. En pré-éclairant le centre commercial, entre autres, nous pouvions tourner partout et en toutes circonstances.
WRIGHT / En voyant aujourd’hui Land of the Dead, j’ai l’impression que la censure a évolué et laissé passer beaucoup de choses pour un film classé R[interdit aux moins de 17 ans non accompagnés de leurs parents].
ROMERO / Effectivement, je redoutais qu’elle n’exige beaucoup plus de coupes. Résultat, la version DVD ne contiendra que cinq minutes supplémentaires. Ce qui est ridicule avec les censeurs, c’est ,qu’ils travaillent en comptant les images. Par exemple, la scène du bras enfoncé dans une bouche jusqu’au coude dure peut-être vingt-six images. Ils nous ont demandé d’en retirer huit. Comme si ça pouvait suffire à protéger les yeux innocents des jeunes spectateurs.
PEGG / Tu as aussi utilisé un procédé qui consiste à rajouter numériquement des silhouettes devant des scènes litigieuses. Est-ce une façon de diminuer le nombre d’images?
ROMERO / Exactement. J’ai pensé qu’au lieu de couper abruptement, on gagnerait à masquer momentanément un détail tout en préservant la durée du plan.
WRIGHT / En dehors du fait que ça satisfait les censeurs, je trouve l’effet intéressant esthétiquement. Il apporte un aspect documentaire plus cru et plus spontané en évitant de concentrer l’attention sur le seul effet gore.
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ROMERO / N’en jetez plus et parlons de Shaun... Je trouve brillant votre plan-séquence où les personnages marchent dans la rue avant d’entrer dans la boutique, tandis que la situation est exposée par petites touches dans le reste du décor. On dirait La Soif du mal.
WRIGHT / J’ai fait bien attention à ce qu’il se passe toujours quelque chose dans chaque coin du cadre. C’est amusant parce que le directeur de la photo n’y croyait pas: il pensait qu’il faudrait couper toute la partie où les personnages marchent. Il appelait ça du «métrage de semelles».
PEGG / C’était le premier jour de tournage! Notre expérience commune à la télévision nous a préparés à travailler très librement...
WRIGHT /Notre film est à moitié produit par Universal et à moitié indépendant. Cela nous a permis d’économiser sur la figuration en faisant appel à nos amis et parents. Si nous avions dû payer tous nos figurants, le film n’aurait jamais existé.
ROMERO / Je vous comprends: je n’ai jamais eu de problèmes pour trouver des figurants bénévoles sur mes trois premiers films. Pour Land..., nous avons tourné au Canada où les syndicats sont très stricts. Certains jours, nous avions jusqu’à 75 zombies syndiqués. La production fermait exceptionnellement les yeux lorsque des amis venaient faire de la figuration. Ça a été le cas pour vous, comme pour Tom Savini [“La Nuit des morts-vivants”, 90].Mais j’aurais eu du mal à faire venir tous mes vieux potes.
PEGG / Depuis La Nuit des morts-vivants, tes films ont une qualité unique: ils existent indépendamment les uns des autres. Ils ne sont pas des suites. Ils n’ont pas de personnages communs. C’est pourquoi notre film peut être considéré comme un nouveau chapitre d’une même histoire, même s’il y a un peu plus de comédie dedans. Tu as généré une mythologie inépuisable.
ROMERO / Espérons qu’elle continue au moins encore un peu...
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Bande-annonce de Shaun of the Dead :
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