Septième long-métrage du duo Gustave Kervern et Benoît Delépine, Saint Amour est un road-trip tragi-comique qui tranche avec leurs réalisations précédentes. Les deux compères sont revenus avec nous sur le parcours un peu spécial d'un film qui l'est tout autant.
Comment vous est venue l'idée de base de Saint Amour ?
D : La base c'était le Salon de l'Agriculture, un lieu unique au monde, on trouvait que c'était inouï qu'il n'y ait jamais eu de film tourné là-bas. On a d'abord écrit un autre film qui s'y déroulait, mais c'était différent, ça se finissait par un suicide. Il y avait déjà la problématique de la transmission de la ferme, sauf que le père avait un cancer et ne savait pas comment le dire à son fils. On apprenait finalement que le père avait dressé son cheval pour lui envoyer une ruade fatale.
K : "Suicide par ruade", à la fois beau et inédit. Le Salon a refusé (rires). On croit toujours que nos histoires sont acceptables, on y va sans réfléchir, mais après quand t'y penses, c'était n'importe quoi de le présenter au Salon en croyant que ça passerait. On avait quand même l'objectif de tourner un film tous les 2 ans, donc on a fait Near Death Experience à la place.
D : On a aussi monté notre société de production pour nous permettre de tourner des films impossibles. Sur Near Death Experience, on a fait tapis, on a tout mis.
K : Ca nous a apporté Houellebecq, une superbe rencontre, la pureté de la crétaion dans la montagne avec un dingue assez génial. Pour le film avorté qui s'appelait Le Boeuf de Kobe, heureusement au final que ça ne s'est pas fait : on se serait cassés la gueule, on manquait de préparation, 10 jours dans le Salon, avec le bruit, on n'était pas prêts. Quand on est repartis à l'attaque, on a remué ciel et terre pour avoir l'autorisation. On a demandé à José Bové...
D : Sauf qu'on a tiré les mauvaises sonnettes, c'est la FNSEA qui tenait le salon, pas la Confédération Paysanne, donc...
K : On a fait toutes les erreurs possibles. Après le drame sur Near Death Experience, on voulait quelque chose de comique et sensible.
D : On voulait remonter la pente, avoir une forme de tendresse. Et on avait envie d'offrir des beaux rôles à des actrices.
En parlant de Houellebecq, au départ c'est lui qui était censé jouer le personnage de Mike (Vincent Lacoste), vous avez beaucoup réécrit par rapport à ce changement plutôt radical ?
K : On a juste réécrit des petits trucs, mais le personnage était comme ça. On a fait en sorte que le perso soit un peu plus branché internet, mais pas plus.
D : Le tournage avait lieu peu après les attentats de Charlie Hebdo, ça devenait compliqué. Même si Michel avait dit oui, avec la sécurité, les gardes du corps, ça aurait été un enfer. Même la courte scène qu'il a, c'était compliqué.
K : Je peux te dire que le garde du corps s'en souvient de cette journée de tournage, il a pas arrêté de rigoler. C'était un vrai asile de fous. Houellebecq ne comprenait pas comment on pouvait tourner dans ces conditions, Depardieu et Poelvoorde étaient en furie... Un jeudi noir, on avait appelé ça.
D : Trois jours après on reçoit un sms de Houellebecq : « je vous plains sincèrement ». C'est l'acteur comique par excellence, même si peu de gens le savent.
K : Il a un humour sur lui-même qui est dingue. Accepter de faire un petit rôle pareil, faut avoir un sens de la dérision extraordinaire.
Vous avez été pro jusqu'au bout, ou le vin était présent aussi bien devant que derrière les caméras ?
D : On sait pas ce que c'est, être professionnels ! (rires) Nos acteurs ont des caractères tellement forts, une fois qu'ils sont barrés dans une pente, rien ne peut les arrêter, il s'agit de sauver le truc et de les ramener vers le film. Mais on est deux, on y arrive...
K : On a appris qu'il existe toujours une solution. On a eu tellement de galères sur Avida, notre deuxième film, qu'on sait se débrouiller.
D : et comme on est aussi scénaristes, on peut modifier. On s'est déjà aperçus qu'un acteur jouait mal, on lui a mis une collerette pour pas qu'on voit sa figure par exemple. Ça peut aller loin.
Il paraît qu'on vous a offert une quantité astronomique de vin Saint Amour, c'est vrai ?
D : (rires) Ca c'était pas un cadeau ! C'est notre producteur qui a acheté un Nabuchodonosor de Saint Amour aux enchères.
K : 15 litres. On attend l'occasion de la boire.
Pour le soir de la sortie ?
K : Non, après, quand les chiffres seront tombés. Si on se plante, ce sera une consolation !
Vincent Lacoste disait que vous réécrivez sans cesse vos scènes. Et que la séquence où les héros retrouvent la fille a failli se transformer en chasse au crottin...
D : Pour être honnête, dans le scénario, 1ère version, ils retrouvaient la fille grâce à un chauffeur de taxi qui l'avait vue par hasard et leur disait où elle était. Sauf que c'était nul, on se serait cru dans un Maigret, "hé les aminches, y'a une gonzesse, sur un cheval"... Non. Et l'idée du crottin a fusé, on décide de le faire, on demande à l'assistant de chercher du crottin de cheval en plein Paris. Sauf que Depardieu en plein Paris qui dit très sérieusement en baissant la tête "qu'est-ce que c'est que ce crottin" avec Lacoste au volant, "hé les gars, y'en a un autre ici", on s'est dit qu'on perdait les pédales. On était fatigués.
K : Dans un scénario t'as tendance à être vachement cartésien, vouloir tout expliquer, mais tout s'est résolu avec le montage, la musique.
D : N'empêche qu'une journaliste nous a demandé aujourd'hui "mais pendant qu'ils sont en voiture, qui s'occupe du taureau pendant ce temps là alors ?". Comme quoi...
On peut parler de Jean-Louis, acteur non-professionnel qui a toute une scène où il explique qu'il est une sorte de prophète ?
D : C'est un vrai prophète qui discute avec Dieu tous les soirs, il nous a même fait des pronos sur les entrées du film. A chaque fois qu'on parle il m'explique qu'il progresse, qu'il est passé dans les 20 000 élus, etc.
K : On adore ce genre de personnages, quand Benoît a appelé en disant "putain j'ai rencontré un prophète dans un bar", j'ai dit tout de suite qu'il nous le fallait dans le film. Il y a quelque chose de beau chez ces gens là. On l'a même filmé en train de parler 5 minutes non-stop sur un tracteur, on comptait le mettre pendant le générique de fin mais ça cassait trop le ton de la dernière scène. Ce sera dans les bonus DVD, il est incroyable ce mec.
Le rapport à l'alcool que présente le film, entre rires et larmes, c'est aussi le vôtre ?
D : A mort. Comme on picole moins qu'à une époque on peut avoir un regard quasi-nostalgique sur cette période là. Aussi bien les côtés positifs que négatifs.
K : La vérité sort de la bouche des enfants alcooliques.
Les fameuses « 10 stades de l'alcool » que décrit le film, c'est tiré de votre expérience ?
D : Malheureusement oui. (rires)
K : En général quand tu aimes bien boire, tu vas souvent jusqu'à l'étape 10. La culpabilité arrive, ce serait l'étape 11 dont on n'a pas parlé. La 12ème, c'est les angoisses... Mais bon, 10 ça faisait un compte rond.
Depardieu a un côté bon vivant, Poelvoorde a eu cette réputation aussi...
D : Ouais, c'est super gentil comme façon de le dire ! (rires)
K : Il faut faire la balance entre le loisir et le travail, on n'y arrive pas toujours mais l'essentiel c'est qu'il apporte à son personnage une vérité extraordinaire. C'est dur de jouer un mec bourré en réalité. Comme pour son perso de punk à chien du Grand Soir, il a la crédibilité pour le faire.
D : Il reste dans le personnage, tout le temps.
C'est d'ailleurs le film où l'on sent le plus de tendresse pour vos héros.
D : C'est un parti pris de réalisation, parce qu'on savait qu'au Salon de l'agriculture avec 2 caméras ce serait compliqué de toute façon. Donc on reste plus proche des visages que dans d'autres films, on est vraiment avec eux et leurs émotions du début à la fin.
Même au niveau de l'histoire, il y a toute la problématique de la transmission de la ferme entre le père et son fils...
D : Je l'ai vécu moi-même en tant que fils d'agriculteur. Mais moi, j'étais tellement peu doué pour ça que j'ai très vite été rejeté par la profession (rires). En même temps, je suis content de les mettre en avant. J'ai une vraie tendresse pour eux et ça me fait marrer d'en parler.
K : On avait envie de faire un peu de premier degré sur cette thématique là. D'autant qu'on savait qu'on avait un dénouement un peu poétique qui arrive juste après. C'était spécial à tourner, ça aussi. Ils étaient déchaînés donc il a fallu batailler pour les faire revenir à des trucs plus calmes.
D : Ils avaient du mal à jouer parce que ça faisait limite neuneu, et Céline Sallette n'arrêtait pas d'éclater de rire pour relâcher la pression.
K : Et tout le monde avec les pieds dans du crottin, cette fois.
Un dernier mot sur Groland, avec tout ce qui se passe pour Canal + en ce moment, pas d'inquiétude ?
K : Pour l'instant on est passés entre les gouttes. Rien de négatif, l'émission est toujours là. Pour nous ça continue pareil qu'avant. On a vu ce qui est arrivé aux autres, mais pour l'instant ça va. Probablement parce qu'on fait partie des rares qui avons gardé le même niveau d'audience. C'est ça qui nous protège. On croise les doigts.
Bande-annonce de Saint Amour :
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