Toutes les critiques de Transit

Les critiques de Première

  1. Première
    par Thierry Chèze

    La question des réfugiés s’invite ces dernières semaines sur grand écran. Par le biais du documentaire avec le passionnant L’héroïque lande pour lequel Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval ont posé leurs caméras à Calais avant le démantèlement de la fameuse « jungle ». Et donc grâce à Transit, par le prisme de fiction. Une fiction vraiment pas comme les autres, mêlant les époques, très librement adaptée du roman éponyme écrit par l’allemande Anna Seghers en 1944 (et porté à l’écran par René Allio en 1991) dans lequel des hommes et des femmes (anciens combattants de la Guerre d’Espagne, déserteurs, juifs, artistes…) pourchassés par la Wehrmacht se retrouvent à Marseille en attente d'un hypothétique embarquement vers la liberté. Christian Peztold raconte ici peu ou prou la même histoire. A ce détail essentiel près qu’il a choisi de situer l’action de nos jours où des réfugiés européens fuyant les forces d’occupation fasciste sont venus dans la cité phocéenne avec l’espoir d’embarquer pour un hypothétique voyage vers les Etats-Unis. Ce parti pris trouble évidemment le spectateur que nous sommes. Le place dès le départ dans une situation d’inconfort qui va accroître son attention et lui faire vivre le récit de manière active. On y suit plus particulièrement deux personnages : un Allemand qui prend l’identité d’un écrivain mort pour profiter de son visa et la jeune femme dont elle tombe amoureux mais qui est éprise d’un autre qu’elle cherche partout et sans lequel elle ne traversera pas l’Atlantique en bateau. La forme dystopique permet à Petzold de prendre du recul par rapport aux situations tragiques d’aujourd’hui qui peuplent les écrans des chaînes d’info et de rappeler subtilement l’aspect à la fois universel et intemporel de cette situation tragique. Il fait preuve d’une précision impressionnante pour maintenir en permanence cet équilibre entre les époques sans que cet arrière-fond ne prenne le pas sur son intrigue. Passionnante, bouleversante bien qu’un peu trop absconse par moments. Chef de file depuis le début des années 2000 de la fameuse Ecole de Berlin qui a fait souffler un vent nouveau sur le cinéma allemand, Petzold confirme qu’il n’a en rien perdu de son inspiration et de sa maîtrise cinématographique au fil des ans et des films (Barbara, Phoenix…). Et pour son premier long métrage depuis plus de dix ans sans sa muse Nina Hoss, il a réuni devant sa caméra un duo d’une puissance émotionnelle fascinante : Frank Rogowski (qu’on avait vu l’an passé dans Happy end de Michael Haneke… doublé par Louis Leprince-Ringuet) et Paula Beer (la révélation de Frantz). Deux raisons supplémentaires d’aller découvrir ce film complexe et déroutant certes mais prenant de bout en bout.