Première
par Frédéric Foubert
Connue pour ses portraits sur le vif d’Edward Snowden (Citizenfour) ou Julian Assange (Risk), Laura Poitras croque dans son nouveau docu (Lion d’or à la dernière Mostra) la grande Nan Goldin, photographe mythique de l’underground US. L’évocation biographique, assez classique, se double d’une matière plus abrasive, militante, qui détaille l’action menée par Goldin contre les Sackler, richissime famille américaine au cœur du scandale des opioïdes : ses membres sont accusés d’avoir provoqué une crise sanitaire monstrueuse (on parle de centaines de milliers de morts) en mettant sur le marché un antidouleur dévastateur, l’OxyContin. Avec le groupe P.A.I.N., Nan Goldin entreprend des actions coup de poing dans les grands musées de la planète, du Guggenheim de New York au Louvre, afin que ces institutions culturelles refusent désormais d’encaisser les gros chèques qu’ont l’habitude de signer les Sackler, qui aiment se présenter comme de gentils mécènes. En mêlant les images de ce combat à celles du parcours esthétique et intime de la photographe, Laura Poitras dessine les contours d’une existence passée à lutter contre des forces américaines répressives très puissantes : le puritanisme hier, la rapacité et l’impunité des hyper-riches aujourd’hui. Un moment hallucinant, inoubliable, troue le film de l’intérieur : une audition judiciaire, tenue sur Zoom, où les Sackler sont contraints d’écouter, de longues heures durant, les témoignages des familles des victimes de leur poison. Ils restent muets, figés par la honte, comme prisonniers de leurs petites fenêtres numériques.