Première
par Frédéric Foubert
Tiens, Philip Marlowe revient. La dernière fois qu’on l’a vu au cinéma, c’était dans Le Grand Sommeil version Robert Mitchum, millésime 1978, réalisé par Michael Winner. Mitchum avait la soixantaine et jouait donc le privé vieilli, beaucoup plus âgé que ses illustres prédécesseurs (Bogart avait 44 ans dans Le Grand Sommeil version Hawks, Elliott Gould 33 au moment du Privé d’Altman) et propulsé qui plus est dans le Londres seventies, un background qui n’avait plus grand-chose à voir avec le Los Angeles de Raymond Chandler.
Le Marlowe nouveau, signé Neil Jordan, met lui aussi en scène une version âgée du personnage, sous les traits de Liam Neeson (70 ans et pile 100 films au compteur). Mais l’intrigue, elle, se situe en 1939, année de la parution du Grand Sommeil, le tout premier roman de Chandler. Manière de dire qu’on fait du neuf avec du vieux. Cette question de l’âge (des acteurs, des mythologies mises en scène) revient de façon lancinante au cours du film. « Je commence à être trop vieux pour ça », grommelle Neeson après avoir allongé deux gorilles (de façon plutôt convaincante, ceci dit). « La clé à Hollywood est de savoir quand ton tour est passé », explique une Jessica Lange en mode Gloria Swanson, comme pour bien nous signifier que tout le monde ici est conscient de broder sur des légendes fatiguées, d’errer au sein de décorums un peu passés.
On est finalement moins proche des films noirs de l’âge d’or que du récent Maigret de Patrice Leconte : film fantomatique (façon polie de dire « complètement mou »), au vague parfum Dahlia Noir (le De Palma), situant son intrigue dans le monde du cinéma pour mieux assumer sa nature de trompe-l’œil. Manque au fond une vraie réflexion sur le personnage et son interprète. Neil Jordan n’a en réalité pas grand-chose à dire sur Marlowe ou Liam Neeson, ni d’ailleurs sur le genre lui-même. Dans ce Los Angeles façon Musée Grévin (reconstitué du côté de Barcelone), il se contente de dérouler l’intrigue, par ailleurs plutôt pas mal, qui serait divertissante si elle était racontée avec plus de nerf, adaptée non pas de Chandler mais d’un roman « autorisé » de John Bainville, The Black-Eyed Blonde : une riche héritière inquiète (Diane Kruger) vient frapper à la porte de Marlowe pour qu’il l’aide à retrouver son amant porté disparu ; l’enquêteur fouille-merde va se retrouver dans les arrière-cuisines pas très nettes d’un club select tenu par l’excellent Danny Huston, toujours très bon dans les rôles de rupins faux- derches. Quelques répliques marrantes, bien écrites, réveillent le film par intermittence, comme des échos venus d’un monde très lointain, presque inatteignable. Pour du L.A. noir à la fois vintage et moderne, référencé mais pertinent, old-school mais excitant, mieux vaut se tourner vers le récent Perry Mason de HBO – d’ailleurs bientôt de retour aux affaires.