Première
par Sylvestre Picard
Si certains films sont des manifestes, ce n’est pas parce qu’ils essaient de vous vendre quelque chose -un propos politique, une morale, des jouets- mais parce qu’ils sont le manifeste d’un auteur, l’extension concrète de sa vision sous la forme d’images animées. Mad God en fait évidemment partie. Et dans le genre, ça pourrait être le boss de fin du jeu plutôt que de fin de niveau. C’est un film de miniaturiste, imaginé il y a trente ans dans le garage de son créateur, abandonné puis repris, monté par petits bouts et finalement achevé à l’ère numérique grâce à une campagne de financement participatif. Et c’est un véritable cauchemar, quelque part entre Jérôme Bosch et les BD de Richard Corben : un petit bonhomme muet, harnaché comme un combattant de 14-18, plonge dans les tréfonds d’un monde infernal peuplé de monstres et de machines grotesques, passant d’un mécanisme à un autre comme dans un grand jeu de marabout dont les matières seraient la merde, le sang et le métal. Ce n’est pas si mad, en fait. Il s’agit d’une vue plongeante dans les visions les plus dingos issues du cerveau de son créateur-animateur Phil Tippett, maître de l’animation en prises de vue directes, d’accord. Mais la technique du film, forcément ultra minutieuse, fait en réalité de Mad God une œuvre de véritable artisan qui pense et maîtrise chaque seconde de son travail. Le résultat affirme que chaque goutte de sueur versée pendant trente jours, trente mois ou trente ans pourra donner naissance à un pandémonium cosmique. Sacré manifeste, en effet.