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Qui a cru au départ en retraite de Steven Soderbergh ? En 2013, au moment de la tournée promo d’Effets secondaires, le stakhanoviste du ciné indé US expliquait à qui voulait l’entendre qu’il en avait fini avec le cinéma. Quatre ans plus tard, alors qu’il revient aux affaires avec Logan Lucky, un rapide coup d’œil dans le rétro suffit pour constater qu’il n’a franchement pas chômé dans l’intervalle : deux saisons de la série The Knick réalisées à lui tout seul, le lancement de plusieurs « déclinaisons » de titres-phares de sa filmo (la suite de Magic Mike, la série The Girlfriend Experience), des mentions comme producteur exécutif à droite à gauche (Red Oaks, CitizenFour)… Soit la retraite la plus surbookée de l’industrie du rêve. Mais cette suractivité n’empêche pas pour autant Soderbergh de témoigner, dès l’intro de Logan Lucky, d’un appétit retrouvé. En surface, l’homme joue ici sur du velours. C’est un film de casse avec bande-son électro chic signée David Holmes, intrigue alambiquée, clins d’œil complices et méta au spectateur, insouciance revendiquée… Trois adorables losers (Channing Tatum, Adam Driver, Riley Keough) et un dynamiteur de coffres-forts peroxydé (Daniel Craig) veulent y braquer un circuit de Nascar pendant la plus grosse course de l’année. Ocean’s Eleven à la campagne ? Exactement. C’est l’idée.
Pourtant, malgré le sentiment de déjà vu, Soderbergh filme ici certaines scènes avec l’énergie d’un affamé. L’intro du film est ainsi l’une des plus belles choses qu’il ait jamais tournée : en Virginie-Occidentale, par un après-midi comme les autres, Channing Tatum répare un moteur de voiture en expliquant à sa fille l’histoire de la chanson Take Me Home, Country Roads de John Denver… Il ne se passe pas grand-chose mais on croit à tout : l’atmosphère « virginienne », Tatum en papa prolo au cœur d’or, le commentaire pop-culturel bien senti… C’est le meilleur aspect du film, et du script écrit par la débutante Rebecca Blunt : la vérité dans la description d’un milieu précis (les mineurs au chômage et les anciens combattants qui vivotent dans les bars de West Virginia), le mélange de précision documentaire et d’humour narquois dans la peinture d’un underworld rural méchamment attachant. On est à quelques encablures du Kentucky de la série Justified, et on pense bien sûr souvent ici à Elmore Leonard, à qui Soderbergh doit son chef-d’œuvre Hors d’atteinte. Logan Lucky a l’air de lui être dédié.
Le cinéaste aime en fait tellement ses personnages qu’il prend un temps fou à les présenter, les caractériser, délayant d’abord l’intrigue au maximum pour mieux musarder et profiter du simple plaisir de la balade. Dommage que la machine se grippe dès que les choses sérieuses commencent, et qu’on passe au casse proprement dit. Sur ce plan-là, celui du suspense, de la tension, du « heist movie », du plaisir purement cinématographique du compte à rebours, c’est un échec. On commence à regarder sa montre pile au moment où l’intrigue est censée nous faire transpirer à grosses gouttes. Ocean’s Eleven ? Plutôt Ocean’s Thirteen, en fait… Mais, pour peu qu’on ait de la tendresse pour les cheveux platine de Daniel Craig, les kilos en trop de Tatum ou la façon dont Riley Keough passe les vitesses, on peut décider de fermer les yeux sur ces ratés (et sur les vannes nulles sur Game Of Thrones, oui, aussi). Comme Channing Tatum l’explique dans la première scène, s’il aime à ce point Take Me Home, Country Roads, c’est autant pour la chanson elle-même que pour l’histoire qu’il y a derrière cette chanson. Et l’histoire derrière Logan Lucky, c’est celle du come-back de Soderbergh, l’histoire d’un réalisateur qui, contrairement à ce qu’il essayait de faire croire à tout le monde, ne pouvait pas se passer du cinéma. On a très envie d’aimer cette histoire-là.