Première
par Lucie Chiquer
Documentaire encensé à Cannes, La Mère de tous les mensonges part d’une volonté d’ Asmae El Moudir de poser une question qui hante son esprit depuis petite : pourquoi, pendant très longtemps, n’y avait-il pas de photos d’elle dans sa maison ? Elle part alors à la recherche de ce que cache sa grand-mère, matriarche autoritaire à l’origine de cette interdiction d’avoir des clichés de soi. Afin d’obtenir des réponses, Asmae El Moudir confronte ses proches à une maquette de son ancien quartier, remplie de maisons miniatures et de figurines. En dessinant les contours de son enfance, elle en éclaire petit à petit les zones d'ombre et opère un retour dans le temps cathartique. Un format d’une créativité folle qui lui permet de briser le silence, d’aller au cœur du mensonge, et de délier les secrets qui ont infesté sa famille de l'intérieur. Dédramatiser pour obtenir réparation, en douceur. Et au fur et à mesure que sa grand-mère réticente s’ouvre à elle, Asmae El Moudir découvre, en même temps que le spectateur, que sa tragédie personnelle serait peut-être plus collective qu’elle ne le pense. Ce film au départ intimiste se transforme avec une grande délicatesse en devoir de mémoire et met en lumière un événement oublié de l’histoire du Maroc : les émeutes du pain de 1981. Par cette réinvention du réel qui mélange les formes et les couleurs, la réalisatrice panse des plaies jusqu’ici encore à vif et finit par conjurer le sort.