Première
par Christophe Narbonne
On dit souvent d’un film qu’il se fait en réaction contre le précédent. En effet, on ne peut pas imaginer plus opposés que cette adaptation froide et méthodique de Simenon et le rabelaisien Tournée, qui avait enflammé la Croisette en 2010. Tourné en plans fixes très composés (l’introduction est sur ce point exemplaire), découpé narrativement comme un puzzle, rythmé par une voix off monocorde, La Chambre bleue – lointain parent de Garde à vue – est un exercice de style d’où l’émotion et la chair sont curieusement absentes. Un plan fugitif de sexe féminin ouvert, plus théorique (tentation/perdition) que sensuel (pénétration/voyeurisme), résume la démarche clinique et plastique d’Amalric, en plein trip bressonien. Les personnages sont à l’image de ce drame bourgeois qu’un entrefilet dans la presse locale pourrait résumer : des archétypes (la femme fatale, l’homme mystifié, l’épouse passive) auxquels les acteurs prêtent simplement leur enveloppe. L’acteur-réalisateur a un air hébété pendant tout le film, Stéphanie Cléau, l’amante, est souvent filmée partiellement, Léa Drucker n’a pas beaucoup de dialogues… Avec ce film dévitalisé, un peu crypté, qui a quelque chose de fascinant, presque de lynchien, Amalric prend le risque de désorienter à la fois le public de Tournée et les amateurs de Simenon, écrivain dont les récits sont on ne peut plus incarnés.