- Fluctuat
Edouard Baer énerve. Les cinéphiles qui aiment qu'on fasse du cinéma sérieusement, les cathos de gauche vite paniqués par dandys insouciants, les fans de vraies comédies dupés par cet objet visuel mal identifié et beaucoup d'autres.
Pour son premier film, le trublion de Canal + a réussi à se mettre plus de monde à dos que Saddam Hussein en envahissant le Koweït. Le titre du film, emprunté à une chanson de Sacha Distel, fixe pourtant son ambition :
"Alternance de joie et de peine, d'allégresse et de contrition. Marquez bien les temps, rythme cardiaque normal. C'est le premier dansodrame mimé. Dansons la Bostella !""La Bostella" se veut arythmique, sorte de farce musicale traduisant l'incohérence de la vie, faite de peines et de joies alternées de façon dysharmonique. "La Bostella" servait de générique au Centre de Visionnage, où sévissait Baer dans NPA. Après la Grosse Boule sur Radio Nova, ces émissions ressemblaient déjà à un joyeux bordel, où il maniait avec son complice Ariel Wizman l'art du tout et du n'importe quoi.Ecrit avec son ami Fabrice Roger-Lacan, le film prolonge ces entreprises de déstabilisation culturelle en narrant les pérégrinations d'Edouard et de ses acolytes, réunis dans un brainstorming estival pour préparer l'émission qu'ils devront tenir à la rentrée. Le soleil, le manque d'eau (dans la piscine), les parasites locaux, une femme mystère et la panne d'inspiration viendront perturber cette villégiature. Dans un mas camarguais, le groupe implose sous la pression conjuguée des égos et des événements, révélant la médiocrité des destins individuels et la vacuité du projet qui les rassemble.Dans cette ambiance, Edouard oscille entre son devoir de leader (fédérer les énergies, organiser le déroulement du séjour, produire une bonne émission) et ses pulsions nihilistes (profiter de la moindre occas' pour filer à l'anglaise, se bourrer la gueule, construire des maquettes avec de la mie de pain et des bouchons de bouteille). Alternant postures de dandy et incantations de leader responsable, Baer détruit les mondes qu'il s'est efforcé de construire. Lucide avec le monde comme avec lui-même, il sait se mettre en scène dans les pièges qu'il se construit. A force de manier indifféremment la gentillesse du type bien élevé et la franchise du cynique, le pire peut en effet arriver, comme d'être attablé avec un beauf facho qui vous prend pour ses amis. Après cette scène qui laisse ahuris les personnages et les spectateurs rieurs, les uns et les autres peuvent se demander où Edouard les emmène. Usant de détours et de faux-semblants, passé maître dans l'art de la fuite et du quiproquo (avec sa productrice, ses fans et les inconnus), organisateur d'un happening permanent qui finit par le happer, il oblige le spectateur à se débrouiller seul au milieu de ce n'importe quoi audiovisuel. Au choix, on pourra se perdre ou trouver son chemin dans ce labyrinthe ensoleillé, se marrer ou s'agacer d'être pris au piège par ce grand ordonnateur qui récuse ses responsabilités d'auteur. Au bout, on trouvera peut-être un sens qui prétend ne pas y être, puisque le scénario comme l'émission ne progressent, il est vrai, que de peu.La Bostella
Réal. : Edouard Baer
Avec : Edouard Baer, Rosine Favey, Gilles Gaston-Dreyfus, Jean-Michel Lami, Pierre-Louis Lanier, Sandrine Rigaut, Patrick Mille, Isabelle Nanty, Joseph Malerba, Francis Van Litsenborg
- Lire la chronique d'Akoibon (Edouard Baer, 2004)