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Au fond de la cour, il y a cette vieille caisse en bois dans laquelle le jeune héros s’enferme autant pour rêvasser que pour observer derrière les interstices des planches le monde des adultes. L’Île rouge pourrait être un film historique (1971, Madagascar) et (auto)biographique, mais c’est d’abord un récit d’initiation vu à hauteur d’enfant… Le quotidien d’une communauté d’expatriés vu à travers les yeux de Thomas, un gamin qui vit avec ses parents sur une base militaire française. Il capte le monde, l’intime - sa mère et son père, son frère – comme le lointain – les collègues militaires de papa, les amies de maman et les ados qui s’échangent des baisers dans une futaie. Lui rêve, se fait des films et s’évade dans les livres. Mais progressivement la rumeur du monde va tout bouleverser. L’Île rouge c’est donc cet espace clos, cette base qui vit repliée sur elle-même avec ses codes, ses secrets, ses rites… Et comme on suivait dans 120 battements par minute Nathan pénétrer la galaxie Act up, on accompagne Thomas dans cet espace-temps isolé. Campillo égrène ses souvenirs irrémédiablement perdus, raconte une famille qui tangue, un milieu sur le point de s’effondrer (le système colonial moribond) et pendant une heure trente, porté par des acteurs extraordinaires (Nadia Tereszkiewicz stupéfiante et Quim Gutierrez), le film trouve une grâce et une note émotionnelle aussi fragile qu’entêtante. Quand il passe les grilles de la base pour embrasser le cours du monde et mettre en image ce qui n’était jusqu’ici qu’un grondement sourd et menaçant, il perd paradoxalement en intensité. Mais le voyage dans ce monde perdu vaut le déplacement.