Première
par Sylvestre Picard
Il y a une dynamique de l'épuisement dans le shonen : épuisement des corps des héros, poussés dans tous leurs retranchements -physiques, mentaux, moraux- au fil des combats, et épuisement du récit, qui tend à s'évanouir alors que les batailles deviennent de plus en plus démentes. Cet épuisement fait écho à celui des franchises geek, épuisées par leur exploitation jusqu'à l'os par les studios et les ayants droits, et dans tous les domaines, du Seigneur des Anneaux à Marvel. Dragon Ball n'échappe pas à cette dynamique : et pourtant, Dragon Ball Super : Broly (2018), relecture des origines de Superman adaptée du reboot du manga d'Akira Toriyama, était en fin de compte un film de superhéros tout à fait satisfaisant, parfois même très excitant en termes d'ampleur -et d'épuisement, oui, aussi. Pourtant, Broly ressemblerait presque à un pamphlet épuré à côté de Dragon Ball Super : Super Hero (titre génial, non ?), qui débarque en salles cette semaine.
Là où Broly suivait une structure plutôt banale, Super Hero désarçonne : un très long prologue met en place le plan de l'Armée du Ruban Rouge, fameux adversaire de Son Goku dans les premiers épisodes du manga. Une intro absolument réjouissante, dont le tempo lent permet d'apprécier au mieux les multiples et hilarantes trouvailles de design conçues par Toriyama et son équipe. Un véritable film d'équipe, donc, puisque c'est des personnages secondaires -Piccolo, Gohan- qui vont affronter les "superhéros" du titre, cyborgs au look rétro rappelant les héros de la télé japonaise des années 60. Ce décentrage de l'intrigue est une vraie bonne idée : Vegeta et Goku sont complètement mis à part du film et ne sont là que pour une scène, comme un caméo de luxe (marrant : la vénérable Masako Nozawa donne même à Goku une voix de petite vieille), laissant donc toute la place aux autres. Et aux ruptures de rythme, aux vannes, à la fraîcheur de Docteur Slump que Toriyama avait laissé tomber au milieu des années 90 alors que Dragon Ball s'épuisait dans les bastons. Même si dans le tout dernier acte la dynamique du shonen, et donc de l'épuisement, reprend ses droits lors d'une bataille finale harassante à force de surenchère, Dragon Ball Super : Super Hero montre que la nostalgie et le fan service ne sont pas des fatalités si horribles que ça. A condition d'être entre de bonnes mains, et de refuser certaines dynamiques qu'on pourrait croire inévitables.