Première
par Thomas Baurez
En concurrence frontale avec le Sonatine de Takeshi Kitano présenté lui-aussi dans la Section Un Certain Regard du Festival de Cannes au mois de mai 1993, ce Déménagement de Shinji Sômai s’est fait suffisamment discret pour ne pas trouver de distributeur en France. Trente ans plus tard, le voilà qui apparaît enfin. Preuve de la qualité supérieure de l’ouvrage, le temps n’a eu aucune prise sur lui. Mieux, cette actualité - même différée - renforce son statut d’œuvre essentielle et totalement synchrone. Profitant de cette reconnaissance tardive française, Hirokazu Kore-eda, Kiyoshi Kurosawa et Ryusuke Hamaguchi ont ainsi sorti leur plus belle plume pour exprimer tout ce qu’ils devaient à Sômai, cet aîné (il est né en 1948) injustement confidentiel, décédé d’un cancer du poumon en 2001. Déménagement, son dixième long-métrage, est le récit d’un divorce vu à travers les yeux d’une enfant de 11 ans soudain ballottée entre deux foyers. L’action se passe à Kyoto et la petite Ren (la formidable Tomoko Tabat revue plus tard chez… Kore-eda !), parfaitement consciente du drame intime qui se joue entre ses parents désaccordés, revendique toutefois sa place au sein du chaos. La mise en scène qui opère principalement par plan séquence, parvient à traduire cette tension à la fois psychologique et physique. Les mouvements de caméra emprisonnent les êtres sans pour autant les bâillonner. Dans la dernière partie, dans une formidable mise en abîme du regard, le film touche carrément au sublime. Il est plus que temps de découvrir Shinji Sômai.