- Fluctuat
"Loosy", dixit Jan Kounen. Adapté de la bande dessinée éponyme de Jean Giraud (alias Moebius) et Jean Michel Charlier, "Blueberry (le film) s'inspire paraît-il de deux albums "La mine de l'Allemand perdu" et "Le spectre aux balles d'or". Trahi par la prise de trop de substances illicites, Kounen signe un western joyeusement bordélique et pseudo-psychédélique totalement éloigné du projet initial. Une sorte d'objet atypique et casse gueule dans le paysage du cinéma français.
Blueberry, film suicidaire et maladroitement psychédélique, tentative audacieuse d'un homme qui aime les images plus que le cinéma. Grand bordel qui tient à peine debout suite à trop de shoots de psychotropes et autres fumées obscures, film naïf parfois très beau et souvent ridicule. Narration appauvrie, récit éclaté, personnages consumés, style entre génial et pitoyable, ambiance plus hallucinée qu'hallucinogène. Faux western, demi-trip, on y ronge un bout d'acid en lorgnant ou titubant vers quelques traces de cinéma. On ne sait pas trop où on est, on a voulu nous emmener en voyage, on ne peut pas dire que la traversée soit une réussite, mais le pari est si téméraire qu'on peut quand même en baisser son chapeau. Demi-frère de la Besson High School, Kounen en apparaît comme le plus iconoclaste et vaguement insaisissable. Blueberry est tout sauf une machine à fric, c'est un film totalement engagé dans son delirium tremens, en plein rite chamanique. C'est le petit occidental qui a sa révélation et qui tente d'être honnête avec ceux qui l'ont initié. Exit toute forme de spectaculaire, bye bye les archétypes du genre, juste quelques traces pour nous situer. Kounen filme le premier duel psyché, où les esprits ont remplacé les flingues. Avec son grand feu d'artifice de synthèses il cherche la voie. Il veut peindre les démons qui, depuis la nuit des temps, naissent sous l'emprise des drogues, serpents à figure d'A.D.N dansant autour d'un Cassel classieux et illuminé. Ce Blueberry dont on ne sait presque rien, tout juste quelques images primitives comme moteur à toute l'action et surtout justification aux délires visuels d'un Kounen complètement à bloc. Plus de personnages, des gueules, comme toujours. Une ambiance, de l'effet, c'est tout ce à quoi tend le cinéma de Kounen et de son pote camé Gaspar Noé. Plus que des images, rien que des images. De l'émotion quasi primitive, réduite à une pulsion scopique. C'est l'anti-western à la Ford qui estimait qu'il fallait toujours que l'histoire soit bonne. Ici pas de scénario (ou si peu, un prétexte), rien que des plans, des mouvements, des corps, des visages et beaucoup de paysages. Kounen en veut à nos sens. Ce n'est pas vraiment qu'il ait réussi son coup. Mais, par quelques moments fulgurants, on entraperçoit ce qu'aurait pu devenir le film : un joyau baroque à la Jodorowsky, un chef d'oeuvre authentiquement barré. Ici, malgré tous les efforts de Kounen, les images ne cachent malheureusement que trop de vide. Dommage, vraiment dommage pour cet objet atypique du cinéma français, qu'il convient néanmoins de célébrer face à cet autre cinéma français qui ne se lasse pas de jouer à touche-pipi.Blueberry, l'expérience interdite
Un film de Jan Kounen
Librement adapté de la bande dessinée de Charlier et Giraud (alias Moebius).
Avec : Vincent Cassel, Juliette Lewis, Michael Madsen, Ernest Borgnine, Colm Meaney, Eddie Wizart, Hugh O'Conor.
Sortie nationale le 11 février 2004[illustrations : droits réservés UFD]
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