Toutes les critiques de Ashkal, l'enquête de Tunis

Les critiques de Première

  1. Première
    par Thomas Baurez

    La Tunisie est devenue tragiquement la terre des immolations publiques. Le 17 décembre 2010, le suicide du jeune Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid a fortement contribué à lancer la révolution dite du Jasmin, et la chute de Ben Ali. L’année dernière, dans le très beau Harka de Lotfy Nathan, on voyait le jeune protagoniste terminer en flammes, comme une fatalité « nationale ». Ashkal repend ce « motif » incendiaire et le projette dans un thriller sombre aux confins du fantastique. L’intrigue se situe dans un décor hallucinant et halluciné, celui des Jardins de Carthage, un quartier ultra-moderne voulu par Ben Ali, qui a eu juste le temps sortir de terre avant de voir ses fondations laissées à l’abandon. L’apparition d’une torche humaine au milieu de la nuit dans cette citée fantomatique produit un impact sidérant, tant graphique qu’expressif. Ashkal (« forme » en français) voit deux policiers - une jeune femme et un flic plus old school - tenter de percer le mystère d’une série de morts inexpliquées par carbonisation autour de ce chantier à l’arrêt. Youssef Chebbi, dont c’est le premier long-métrage, revendique ici l’influence de Cure de Kiyoshi Kurosawa. Même si c’est assez manifeste, notamment dans son versant paranoïaque et volontairement nébuleux, le cinéaste de 39 ans parvient grâce à sa maîtrise des espaces, à trouver sa propre singularité. On reste intrigué jusqu’au bout par cette descente dans les enfers d’une société prisonnière d’elle-même. Découvert à la Quinzaine des Réalisateurs cannoise, ce film qui malaxe les genres sans jamais se perdre, laisse une impression tenace.