- Fluctuat
Après sa défaite américaine, Alexandre continue sa campagne en France. Si la bataille promet moins de victimes qu'à l'écran, le nouveau film de Oliver Stone s'impose à la fois comme une renaissance et une déchéance du néo-péplum hollywoodien.
Oliver Stone est depuis longtemps fasciné par les figures historiques emblématiques (JFK, Nixon), la guerre du Vietnam (Platoon) qui lui servit à montrer les plaies de la société américaine (Né un 4 juillet) et une certaine mise en spectacle médiatique de la violence (Natural Born Killer et Any Given Sunday, grand zapping incontrôlable où la violence des images résidait davantage dans le montage que dans les plans). Stone est un cinéaste au style à la fois décelable et invisible, un formaliste génial et débraillé, capable du meilleur comme du pire (U-Turn).Alexandre marque une synthèse de ces formes, thèmes et chemins. A la fois impure et noble dans son style, Stone trouve là son plus grand sujet. En conjuguant son goût pour la fresque historique et une esthétique partagée entre virtuosité et pompiérisme, il a réalisé une épopée dans la lignée du néo-péplum hollywoodien, pleine d'ambition mais incapable d'être à la hauteur de celui-ci. Oliver Stone a voulu s'imposer en démiurge, revisitant l'Histoire et un mythe, en cherchant à se hisser à son niveau.En reconstituant la vie d'Alexandre le Grand à partir de faits et de fictions, Stone se met en quête d'une forme qui puisse restituer pleinement l'une des figures exemplaires de l'Antiquité, unificatrice de l'Orient et de l'Occident. Il veut fonder un mythe pour le présent. En regard croisé de l'Amérique, Alexandre représente un chef de guerre presque idéal, à la fois impétueux, courageux, fier, un homme de bravoure, de conquête, idéaliste et magnanime, ouvert aux peuples et aux cultures, qui pourtant reste torturé par une mère à la figure de louve, un passé filial suffocant et des amours homosexuelles passionnées. Un homme de vision qui sera trahi par ses convictions unificatrices trop grandes pour son époque. A ce corps et cet esprit, Oliver Stone voudrait tout donner, la vitesse, la grandeur, un récit d'une immense fluidité, des batailles d'une virtuosité et d'une violence à mettre Peter Jackson au placard. Le cinéaste cherche l'ampleur de la fresque hollywoodienne, l'intensité des grandes tragédies classiques, la férocité hallucinée des combats, le regard du stratège sur les batailles partagé à celui du guerrier et du peintre. Stone voudrait faire du lyrisme et de la psychologie, être Bergman et Cecil B. de Mille, Griffith et Ridley Scott.En travaillant la question du mythe, Stone cherche, pour s'en approcher un peu plus, à ne pas partir d'un passé référentiel, qu'on peut rattacher à un témoignage visuel direct ou indirect et qui se situe dans la succession temporelle d'un passé, présent et futur. Il veut être dans une autre dimension du temps ou plutôt dans un autre temps, sans caractère référentiel, dans un alors qui s'opposerait au maintenant. Il veut être dans le temps du cinéma. Mais pour atteindre vraiment cette échelle, Oliver Stone n'a pas eu les épaules assez larges et Alexandre, malgré la puissance de Colin Farell (magistral avec sa coiffe de lion) et les moyens mis en oeuvre, a du mal à tout conjuguer.Avec son esthétique parfois triviale, sa mise en images d'un scénario souvent plombant, le film dérive et prend des raccourcis qui amenuisent progressivement la figure potentielle d'Alexandre. Là où se seraient succédés autant de tensions que d'émerveillements (découverte de Babylone !), où le film aurait dû fonder une figure ambiguë, trouble et sublime, Alexandre passe souvent à coté de son épopée démentielle. Les corps d'éphèbes, malgré leur beauté, ne troublent pas, Stone n'étant pas vraiment un cinéaste charnel. Pourtant, si le souffle est là et si Oliver Stone traite son spectateur avec un respect princier, la synthèse ne trouve pas sa ligne fondatrice. Faste et fastidieux, Alexandre est à l'image de Oliver Stone, incapable de trouver la juste mesure sur la durée sans faillir dans un ralenti dispendieux ou un filtrage ingrat. Incurable homme d'images passionné et parfois passionnant mais qui fait trop souvent confiance au langage de ses artifices visuels, Oliver Stone ne croit pas aux plans mais à leur somme. Il est à l'image de son Alexandre : aussi fougueux, il court vers une même défaite.Alexandre (Alexander)
Un film d'Oliver Stone
U.S.A, G.B, France. 2004
Durée : 2h50
Avec : Colin Farrell, Angelina Jolie, Val Kilmer, Jared Leto, Jonathan Rhys-Meyers, Anthony Hopkins.[Illustration : Colin Farrell dans Alexandre. Photo © Pathé Distribution]
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