La cinéaste adapte le roman maousse de DOA, transformant son thriller d’espionnage violent en dérive mélancolique dans une mini-série d’Arte.
Il faut commencer par le roman. En 2007, DOA publie à la Série Noire un roman explosif. Un livre-béhémoth de 700 pages, à base de barbouzeries globalisées, qui parcourait le monde à la vitesse d'un missile Avangard. On y passait de l'Afghanistan à Londres ou de la Syrie au boulevard de la Villette en moins d'une demi-page. Un nombre record de personnages, des héros qui changeaient de camps comme de chemises, des sigles et des acronymes en pagaille, DOA nous emmenait dans un univers parallèle où sexe, drogue, religion, géopolitique et services secrets se mélangeaient dangereusement.
"Ce roman, expliquait l'auteur dans un récent livre d'entretien, ambitionnait de suivre la trajectoire personnelle d'un exécuteur des basses oeuvres, nom de code Lynx, qui vient percuter l'histoire à l'aube du XXIème siècle, au lendemain du 11 septembre". Réalisme étouffant, obsession de la vérité (la multiplication des articles de presse et les digressions - fascinantes - qui caviardait son livre), et mise à nu des failles des services de renseignements (et par là de la démocratie), Citoyens Clandestins était une bombe d'une violence et d'une dureté fractale improbable.
Le genre de livres impossibles à transcrire sur le petit écran mais qui fait rêver pas mal de producteurs. Et c'est finalement Laetitia Masson qui s'y est collé.
Il y a des années, Masson avait adapté Pourquoi (pas) le Brésil et il y a loin de Christine Angot à DOA. Loin aussi de l'univers dangereux, béhavioriste et mondialisé du romancier au monde fantasmatique, mystérieux et très psychologique de la cinéaste. Ca crève les yeux tout de suite. Quand commence le premier épisode de Citoyens clandestins, une voix susurre lentement du Baudelaire. DOA aime sans doute la poésie (il citait lui aussi le poète maudit), mais son roman s'ouvrait sur une autre forme de littérature, la prière du para et une citation de Clausewitz. Deux salles deux ambiances.
Et puis quand Lynx, le héros, déboule enfin dans le cadre, c'est sous les traits de Raphael Quenard, dégaine élancée, très fine, avec cet accent traînant et heurté. On est à mille lieux des idées qu'on se faisait du personnage des romans (personnellement, on l'a toujours imaginé sous les traits mêlés de Daniel Craig et Sam Shepard jeune).
On comprend en tout état de cause, par ce casting et cette voix off, que Masson a donc choisi de changer le terrain des opérations. Sa mini-série ne sera pas musclée et pyrotechnique mais vénéneuse et mélancolique. Intérieure plutôt qu'omnisciente.
Plutôt que de vouloir assurer le quota pyrotechnique, la cinéaste se focalise sur le romantisme de l’ouvrage. Pour résumer l’intrigue à ceux qui n'ont pas lu le roman (9,90 euros en poche, vous n'avez plus d'excuses), on suit essentiellement trois personnages au lendemain du 11 Septembre. Lynx, interprété par Raphael Quenard, est donc un mystérieux mercenaire qui travaille pour une officine privée effectuant les basses oeuvres des services secrets français. Fennec, joué par Gringe (superbe idée de casting), est un espion infiltré dans une mosquée salafiste; enfin Amel (jouée par Nailia Harzoune) est une jeune journaliste idéaliste qui tente de comprendre ce que toutes ces barbouzes fabriquent dans l’ombre.
Car un vrai péril menace : un groupe terroriste a pu se procurer du gaz neurotoxique français et compte bien s'en servir pour fomenter un attentat. Mais la cinéaste regarde ailleurs. Ce qui l'intéresse c'est moins le mouvement convulsif de l'histoire, ses lignes de forces secrètes, et ses agents de change, que le romanesque des situations et la politique des sentiments. Masson choisit délibérément de simplifier l’intrigue. Elle a dépecée le monumental chef-d'oeuvre, pour se concentrer sur les tourments intérieurs de ses personnages, leur solitude et leur tristesse existentielle. Ici, les manipulations sentimentales comptent autant que les arcanes et les secrets politiques.
Il faut insister sur le casting impeccable. Quenard incarne idéalement certaines facettes de Lynx (sa discrétion, sa sensualité ambigüe et ses faiblesses) emmenant le héros vers un Smiley contemporain plutôt que vers un Néo Bourne. Gringe fait un Fennec formidable, tout en rage intériorisée, rongé par la culpabilité. Quant à Nailia Harzoune, elle rappelle que DOA sait écrire des personnages féminins complexes. Ambitieuse et maladroite, tourmentée et sauvage, son Amel est une réussite.
Si certains lecteurs de DOA pourront crier à la trahison, c'est le propre de toute adaptation. On saluera plutôt le travail de Laëtitia Masson qui, malgré les contraintes budgétaires évidentes, offre une adaptation personnelle du livre, romanesque et centrée sur ses personnages.
Les 4 épisodes de Citoyens Clandestins sont disponible sur Arte.TV, ils seront diffusés à l'antenne le jeudi 21 mars
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