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Invité à l'antenne de France Inter le 14 septembre dernier, le cinéaste Philippe Lioret s'est exprimé à propos de la crise des migrants et des conflits qui déchirent actuellement le Moyen-Orient.Le réalisateur à qui on doit notamment Welcome, film engagé sur les immigrés clandestins sorti en 2009, a estimé que "dans deux tiers des cas, c’est le radicalisme musulman le responsable". Il pointe également du doigt la responsabilité de la Guerre des 6 Jours, lors de laquelle Israël a attaqué ses voisins syrien, jordanien et égyptien, comme élément déclencheur d'une identité islamiste.Une analyse que ne partage pas son confrère Michel Hazanavicius. Dans une longue lettre ouverte visible sur son mur Facebook, le réalisateur de The Artist a accusé Philippe Lioret de "reproduire le discours dominant, simpliste, plutôt réactionnaire" à charge contre Israël. Sans utiliser ce qualificatif, il déplore la tonalité qu'il estime antisémite du message du cinéaste, dont il rappelle par ailleurs aimer les films."Cher Philippe LioretJe t'écris aujourd'hui car quelques jours après ta puissante analyse de la situation géopolitique actuelle, personne à ma connaissance n'a réagi. Tu as fait l'effort de te lever le matin, tu as été jusqu'aux locaux de france inter, tu t'es fendu d'une analyse pointue, et on dirait que tout le monde s'en moque. Personne ne réagit. Pourtant tu n'as pas démérité. Là où l'on pouvait craindre que tu fasses entendre une voix humaine, une voix qui parle à hauteur d'homme de ces êtres humains qui meurent tous les jours en fuyant leurs pays, tu as montré que tu avais une vision globale des choses, que tu refusais de succomber à l'émotion. On aurait pu redouter un peu de pathos, que tu parlerais de solidarité, d'indignation, mais non, tu as su être beaucoup plus intelligent que ça, et tu t'es evertué à poser le problème comme une équation géopolitique que tu te proposais d'aider à résoudre. Certes, tu t'es indigné, mais pas exactement là où on pouvait le penser. Tu as préféré être dans l'analyse et la recherche des causes plutôt que dans un appel à la solidarité et la fraternité qu'on aurait pu attendre de toi. C'est très fort. Ta première reflexion a été de te demander si « la responsabilité de tout ça » ne serait pas à aller chercher du côté d'Israël, plus précisément pendant la guerre des 6 jours, ou quelque chose se serait joué sur l'identité arabe, quelque chose que nous payerions aujourd'hui par -entre autres- l'afflux de migrants en Europe, puisque ce mouvement est dans 2/3 des cas selon toi, du à l'islamisme radical. Si l'on te suit bien, l'islamisme radical découle donc de la guerre des 6 jours. Evidemment tu te contentes de te poser tout haut la question, tout plein d'une grande humilité qui t'honore, mais tout de même tu t'étonnes – et le ton de ta voix laisse ici supposer une certaine forme d'indignation- que personne n'en parle jamais, de ça. Bien. Bravo. Superbe analyse qui méritait effectivement que tu la fasses partager avec l'ensemble du pays.Tout d'abord il me semble que tu aurais pu aller un peu plus loin. Tu aurais du dire que l'on avait retrouvé dans les affaires de Ben Laden une cassette audio de Enrico Macias. Au delà du retard technologique d'Al Qaïda, cela aurait été une manière pertinente de dénoncer un peu plus la responsabilité évidente d' Israël dans la propagation de l'islamisme radical. Peu de gens le savent, peut-être même cette info a-t-elle été volontairement passée sous silence, et je crois que tu aurais pu en parler.De la même manière, je crois savoir que les frères Kouachi avaient vu il y a une quinzaine d'années un sketch de Popeck sur les caleçons moletonnés qui ne les avait pas du tout fait rire. D'où leur engagement un peu radical qui les a menés là où on sait. Là encore, une info passée sous silence, dont personne ne parle jamais, mais qui, mise en relation avec d'autres, commence à faire sens je te l'accorde.Enfin, et j'arrêterai là bien qu'il y ait des exemples à l'infini, il me semble que Bachar el-Assad aurait vu Rabbi Jacob quand il était petit pendant un voyage en France avec son père (qui par le plus grand des hasards était lui aussi président de la Syrie) et il n'aurait pas du tout aimé la scène du chewing gum. Pas besoin d'en dire plus, je crois que tout le monde a compris. CQFD.Pourtant quelque chose me chiffonne dans ta sortie. Peut-être justement l'endroit d'où tu parles, le fait qu'à aucun moment tu n'éprouves de compassion pour ces millions de gens qui fuient leurs pays, qui risquent leurs vies, qui revent d'une vie meilleure. Non. Tu tiens absolument à être intelligent, tu te contentes de qualifier à deux reprises ce mouvement de « démént », mais de compassion, non. Trop tôt le matin, sans doute. Ils auraient du t'inviter après le déjeuner.Peut-être aussi le fait qu'il te faille un coupable, un bouc émissaire. C'est étonnant ce besoin d'avoir quelqu'un à accuser, à stigmatiser. On sent tout de suite le réalisateur qui n'aime pas quand les choses ne correspondent pas à ses désirs. Il te faut un responsable. Une tête à couper. Cela ne m'a pas semblé hyper chic de ta part. Peut-être aussi est ce la nature même du coupable que tu désignes ? Israël. Soit. C'est un peu décevant Philippe. Tu auarais pu trouver mieux. Plus original, plus fin. Tu aurais pu dire les tailleurs, les fourreurs, les restaurants de couscous, Timsitt, Bruel, le professeur Schwartzenberg, mais non, tu as choisi Israël. Banal. Peut-être aussi l'absence d'auto critique. Personnellement, moi qui suis autant qualifié que toi pour expliquer ces grands mouvements migratoires et leurs tenants et aboutissants dans la situation géopolitique actuelle, j'ai tendance à croire – et je n'arrive pas à me l'enlever de la tête - que ton film Mademoiselle a quand même une part évidente de responsabilité. Tu remarqueras d'ailleurs que là encore personne n'en parle, ce qui tendrait à prouver que 1 : j'ai raison 2 : il y a sans doute une convergence d'interêts derriere qui expliquerait ce silence 3 : Sandrine Bonnaire tire sûrement quelques ficelles dans l'ombre.Enfin dernière chose, j'étais un peu gêné par le fait que tu sembles croire tenir un discours minoritaire, qui se veut anti élitiste, de gauche, et humaniste, là où tu ne fais que reproduire le discours dominant, simpliste, plutôt réactionnaire, et juste assez polémique pour ravir les animateurs de radio et télé. Monter les gens les uns contre les autres, désigner des éternels coupables, créer de la tension, de la haine, tu admettras qu'il y a un moment où il n'y a plus rien de transgressif la dedans. Quoi qu'il en soit j'ai été étonné que toi aussi tu sois un zemmouroïde.Voilà cher confrère, je me suis permis de te répondre car à chaque fois qu'un type dit une connerie pareille - qui par ailleurs va toujours dans le même sens - nous sommes des milliers de crétins à nous taire, pour tout autant de bonnes raisons. Pas le courage, pas l'énergie, pas l'envie, pas la tribune. C'est comme ça que vous êtres en train de gagner. Ce n'est même plus votre bêtise qui fait le travail, c'est notre silence. Donc pour une fois, parce que je te connais, parce qu'on fait le même métier, parce que j'ai aimé tes films parce que tout ça me rend triste, je voulais juste te répondre. Je te prie de croire, cher Philippe, en l'expression de ma peine la plus sincère Michel PS : Il n'est jamais trop tard pour dire qu'on a dit une connerie.">>> L'intervention de Philippe Lioret chez France Inter