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Dans Voir du Pays, Soko et Ariane Labed incarnent des militaires en phase de réinsertion. Leurs impressions à deux voix.

Cinq ans après 17 Filles (présenté à la Semaine de la Critique), Delphine et Muriel Coulin signent un film très différent, une plongée dans le quotidien d’un régiment qui passe quelques jours dans un grand hôtel chypriote pour décompresser après avoir connu le terrain, en Afghanistan. Voir du Pays adopte le point de vue d’Aurore et Marine, deux soldates dévorées par un stress aux origines floues et soumises aux regards ambigus de leurs collègues masculins. Soko et Ariane Labed évoquent un tournage très particulier.

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Comment êtes-vous arrivées sur ce film ?
Ariane Labed
: J’avais rencontré les soeurs Coulin deux ans auparavant. Nous avions convenu de travailler ensemble si l’occasion se présentait. Elles sont venues avec leur sujet et ça s’est fait très simplement.
Soko : J’ai reçu le scénario par mon agent, puis j’ai rencontré Delphine et Muriel via Skype, puisque j’habite à Los Angeles. Ca m’intéressait beaucoup de faire un film d’un point de vue féminin sur un univers de mecs.

J’imagine que vous avez suivi un entraînement physique intensif ?
Ariane Labed
: J’ai fait pas mal de musculation, d’autant que j’étais un peu maigrichonne à l’époque ! Puis, on est allées avec les soeurs Coulin dans une caserne à Clermont-Ferrand pour rencontrer des militaires, faire des tests de tirs et de combats, inspecter l’attirail, apprendre les codes en vigueur, etc.
Soko : On a eu la chance de côtoyer pas mal de comédiens amateurs, qui étaient d’anciens militaires. Ils nous ont montré des photos (de leurs chars, de leurs armes), raconté plein d’histoires. Ca nous a vraiment plongées dans l’ambiance. Muriel, qui vient du documentaire, était très attachée à capturer l’essence de cet esprit de troupe qui anime les soldats et que nous avons naturellement fini par avoir en cohabitant tous ensemble pendant deux mois dans l’hôtel qui tient lieu de décor au film.

Cette vie en groupe imposée a-t-elle nourri quelques tensions, comme dans le film ?
Ariane
: Ce n’est pas forcément propre à ce film. Il y a des petites tensions sur tous les tournages un peu longs. Le cadre était quand même idyllique et c’était globalement très agréable. Il y avait une vraie joie d’être là. Grâce aux soeurs, on a tous eu un rapport au travail et au plaisir super juste. Rien d’explosif à vous raconter, désolée ! (rires)

Avez-vous été surprises de découvrir l’existence de ces « sas de décompression » ?
Soko : J’ai vraiment découvert ça avec les soeurs. C’était intéressant de voir comment on réhabilite des gens qui ont vécu de tels traumatismes.
Ariane : C’est d’une ironie hallucinante d’installer ces sas dans des hôtels, entourés de vrais gens en vacances. Prendre en charge sur une courte période des vétérans avant de les rapatrier, ça a quelque chose d’absurde même si c’est plutôt à l’honneur de l’armée française de s’en préoccuper. 

Vous êtes très présentes ensemble à l’écran, un peu comme des soeurs. Comment travaille-t-on cette complicité ?
Soko : En vrai, on s’est à peine vues avant le tournage. J’ai eu des problèmes de papiers. Je pensais même être coincée à Los Angeles et ne pas pouvoir faire le film. Bref, je suis arrivée trois jours avant que ça ne commence.
Ariane : On avait quand même fait une lecture.
Soko : C’est vrai.
Ariane : C’était tellement bien écrit que ce n’était pas trop difficile d’installer cette complicité. Il y a des phrases et des moments clés qui ont servi à ça.
Soko : On est toutes les deux, je crois, des actrices instinctives et une fois qu’on est dans la situation, on joue les choses assez facilement.

Vous êtes-vous senties à l’aise très vite dans cette ambiance virile ?
Ariane
: J’adore être entourée de mecs. Il y a un truc assez simple et léger avec eux. Je ne me suis pas posé de question.
Soko : J’ai une peur phobique des groupes et je déteste la violence. Tuer quelqu’un, même pour une noble cause, me dépasse totalement. Je suis végétarienne, je ne pourrais même pas manger un animal mort ! Ce rôle était donc un peu contre-nature pour moi. Ca tombait bien : je voulais essayer quelque chose de nouveau.

Vous êtes toutes les deux des habituées de Cannes. Vous y venez toujours avec la même fraîcheur ?
Ariane
: Ce n’est que la deuxième fois en ce qui me concerne, donc on ne peut pas encore parler d’habitude… Il ne faut pas le dire, mais mon festival à moi, c’est plutôt Venise ! (rires). Cannes m’angoisse un peu pour tout dire. Je ne supporte pas les bouchons dans la rue quand on marche.
Soko : Je suis un peu pareil. Cela dit, je suis très contente qu’il y ait une lumière sur le cinéma au féminin.

C’est l’année des femmes à Cannes, cette année.
Soko
: Enfin !
Ariane : Le cinéma a été inventé par les hommes et les représentations des femmes ont longtemps correspondu à des fantasmes masculins. On a tous grandi avec cette vision et nous, les femmes, avons sûrement mimé ce que nous avons vu. C’est formidable que ça change et que ce soit plus proche de nous.

Vous vivez toutes les deux à l’étranger, Soko à Los Angeles, Ariane, à Londres. Comment jugez-vous le cinéma français de loin ?
Ariane
: Je ne suis qu’à deux heures de train, ça va. Les gens ont un énorme respect pour le cinéma français. Personnellement, je ne raisonne pas en termes de nationalités, s’agissant des films.
Soko : Ce qui compte, ce sont les histoires et les cinéastes. Je vois très peu de films français au final. Peut-être trois, chaque année, dans le coffret des César…

Ariane, vous jouez dans Assassin’s Creed. Et vous, Soko, à quand un grand blockbuster ?
Soko
: (rires) J’ai juste envie de me remettre à la musique pour l’instant. Je vais faire une grande pause pour m’y consacrer. J’ai besoin de m’exprimer toute seule.

Vous pourriez écrire un film ?
Soko : Figurez-vous que je suis en train de le faire !
Ariane : Ca fait assez longtemps que j’écris, donc j’arrête de le dire. Mais c’est aussi une envie très profonde.

Voir du Pays était présenté à Un Certain regard à Cannes et sort en salles le 7 septembre prochain.


(Photo © Sébastien Vincent)