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Le film des Wachowski est impossible à re-reloader.

C'est le genre d'annonce qui fait bien démarrer la journée : Warner serait en train de préparer un reboot de Matrix avec Michael B. Jordan (Creed, l'héritage de Rocky Balboa) dans le rôle principal. Parmi toutes les franchises, Matrix avait été jusqu'à présent épargnée par la mode des reboots de classiques à tout crin (Robocop, Total Recall, Point Break), qui, au mieux, étaient de passables divertissements qui donnaient plutôt furieusement envie de se refaire les originaux. Donc, aujourd'hui, il faut s'y préparer. Un nouveau Matrix arrive et on souhaite bon courage à Warner pour encaisser le tombereau critiques qui ne manqueront pas de s’abattre sur le projet, en train d'être écrit par le multitâches Zak Penn (X-Men 2 et 3, Drôles de dames, Avengers) qui vient de signer le script de Ready Player One pour Steven Spielberg, produit par le même studio -une plongée dans un jeu virtuel bourré de références 80s assumées et explicites. Penn, co-auteur en 1991 du premier script de Last Action Hero qui se moquait déjà des films "à la Shane Black", fait partie de ces stakhanovistes du scénario sans grande personnalité (il a dans ses tiroirs les pages d'un remake des Douze salopards et d'une suite à The Karate Kid avec Jackie Chan, par exemple). Ni les sœurs Wachowski ni Joel Silver, producteur du Matrix d'origine, ne semblent être impliqués. Quant à Keanu Reeves, il serait partant si et seulement si les Wacho sont de l'aventure. Elles ne sont pas là et on voit bien que Warner -dont le DC Cinematic Universe va cahin-caha- veut trouver dans un Matrix (re)reloaded l'occasion de bâtir une nouvelle franchise rentable.

Keanu Reeves n’est pas contre un nouveau Matrix… à une condition

La théorie de The Hollywood Reporter, qui a lâché l'info, est que Warner prévoit de faire un prequel à Matrix consacré à la jeunesse de Morpheus. Quand Ridley Scott justifiait Prometheus en interview, le réalisateur disait qu'il avait tourné ce prequel d'Alien pour répondre enfin à une question cruciale : qui était ce "space jockey" gigantesque dans la salle aux œufs d'aliens ? Sauf que ce n'était pas du tout une question cruciale. La preuve, quand James Cameron tournera la suite d'Alien, ce sera pour livrer un gros film de guerre culminant avec l'arrivée d'une putain de reine alien. L'ambition de Cameron était claire. Ne pas tenter de reproduire le génial film de Scott mais de le surpasser. De livrer du neuf. Est-ce qu’on se demande d’où vient Morpheus depuis 20 ans ? Pas vraiment.

Bien sûr, il y a des remakes/reboots qui sont des chefs-d'oeuvres (au pif : The Thing, La Mouche, True Lies) parce qu'ils osent ajouter du neuf à la recette originale. Mais le Matrix de 1999 était et reste foncièrement neuf, et l'idée d'un reboot va à l'encontre de cette éternelle nouveauté. En synthétisant une foule d'influences (les mangas, les comics de superhéros, les films d'action de Hong Kong, le cyberpunk, les jeux vidéo, les jeux de rôles angst de chez White Wolf) pour trouver leur ADN commun ; en les unifiant via une esthétique qui allait marquer son temps. Les lettres vertes qui tombent en pluie sur l'écran, le bullet time, les manteaux noirs, "I know kung fu". Plus le transhumanisme cuir/queer visionnaire des Wacho qui structure toute leur filmo, de Bound à Sense8. Même Matrix Reloaded, Matrix Revolutions, et la série-concept Animatrix, malgré des qualités certaines, étaient incapables d'injecter du neuf et ne faisaient que bégayer la recette du premier film. Comment alors envisager sereinement un reboot d'un film dont l'idée même repose sur la nouveauté. Quand Morpheus dit à Neo de libérer son esprit et fait un bond gigantesque, la réaction de Neo est de lâcher un "wow" qui est celui du spectateur face aux exploits cinégéniques jouissifs de Matrix. L'idée d'un reboot de Matrix contredit tout ce qu’est le film : l'excitation devant le jamais-vu. Matrix est une idée de cinéma à lui tout seul.

En 1999, Warner sortait The Matrix en mars, dans une période de creux, alors que le studio misait énormément sur le western délirant et coûteux Wild Wild West avec Will Smith (déjà un reboot, celui de la série Les Mystères de l'ouest), prévu pour l'été comme tout bon blockbuster. Dix-huit ans plus tard -le temps d'accéder à l'âge adulte, celui de l'alcoolisme et du droit de vote- on sait lequel des deux a marqué l'histoire du cinéma.