Le réalisateur Thomas Cailley a dû batailler pour aller au bout de sa vision et de ses ambitions.
Un film de science-fiction français, c’est rare. Un film de science-fiction qui soit un chef-d’oeuvre, ça l’est encore plus. Derrière ce petit miracle, nommé Le Règne Animal, se cache Thomas Cailley. Un jeune réalisateur remarqué avec son premier film, Les Combattants, consacré à Cannes (deux prix à la Quinzaine des réalisateurs) et aux César (meilleur premier film, meilleure actrice pour Adèle Haenel, meilleur espoir pour Kévin Azaïs). De quoi aiguiser l’appétit de ce cinéaste et scénariste passé par la Fémis.
Pour son second long-métrage, à (re)voir ce soir sur Canal +, Thomas Cailley voit les choses en grand. Après s’être essayé à la science-fiction sur la série Ad Vitam (diffusée sur Arte en 2018), il se lance dans une histoire de mutant à la française, avec des effets spéciaux, mêlant les genres (thriller, fantastique, teen movie…), entre Akira et Stranger Things. Un Blockbuster d’auteur, comme on voit trop peu dans le paysage du cinéma hexagonal. Un projet dont l’ambition a cru au rythme de sa création, plaçant presque son initiateur dans une situation de saut dans le vide.
"On s’est retrouvé plusieurs fois à la croisée des chemins, face à nos propres interrogations. Quel film ça devait être ?", s’interrogeait Thomas Cailley dans le numéro de Première d'octobre 2023, disponible sur notre boutique en ligne.
"J’ai réalisé qu’on ne pouvait pas se contenter d’être dans l’intime. Ça commence par un ado de 17-18 ans dont le corps se met à changer, OK, on pourrait presque être dans un film d’auteur français 'normal'. Mais alors sa relation à son père doit changer tandis qu’autour d’eux, la société glisse. Tous les personnages vont devoir se positionner moralement, obéir, désobéir. Quand se posent les questions de l’ordre, des institutions, il faut la police, l’hôpital, l’armée… On n’est plus dans le petit bout de la lorgnette mais dans la grande échelle, c’est comme un entonnoir inversé. Et ça, aucun d’entre nous n’était 100 % sûr d’être capable de le faire."
Cailley a préparé le film pendant un an et demi, faisant appel au dessinateur de bande dessinée Frederik Peeters pour réaliser des concept arts, qu’on peut admirer sur son Tumblr. Dans Saccage, Peeters abordait déjà le thème de la mutation dans un monde post-apocalyptique. Ses dessins ont servis de base aux créatures mi-humains mi-bestiales du Règne animal Mais ce n’était que le début du processus…
Il fallait encore les concepteurs d’animation entrent en jeu, puis les spécialistes des effets visuels : prothésistes, maquilleurs, studios en charge des VFX… D’autant que le réalisateur tenait à avoir une approche hybride des effets spéciaux, à l’image du personnage de l’homme-oiseau, incarné par Tom Mercier, particulièrement impressionnant dans le film. L’acteur était en parti maquillé sur le plateau, et son apparence (notamment les plumes et les ailes) était ensuite finalisée sur ordinateur. De quoi expliquer l’explosion du budget, qui a grimpé à 16 millions d’euros grâce au soutien de France Télévisions et Canal+, et à l’avance sur recette du CNC.
"On m’a proposé de le faire en anglais, de tourner en Alabama je crois, mais il n’en était pas question", confie Cailley à Première. "Le récit est ancré sur notre territoire. On nous a expliqué que pour des raisons de coût, plein de scènes devraient être faites en VFX, quasiment en animation. Et ce film-là, moi, je n’avais aucune envie de le faire…
Alors j’ai organisé une espèce d’atelier d’un mois avec tous les chefs de poste, où on s’est attaché à résoudre chaque problème en établissant des règles de base partagées : toujours partir de l’humain, le personnage, l’acteur, que ce soit pour les choix de décor, de caméra, pour les techniques choisies, pour le design, en les aidant avec du make-up, des effets plateau, des câbles, des prothèses.
Si quelqu’un vole, il vole en fonction de la morphologie humaine, sa réalité physique, son poids, son ossature, pas comme un oiseau à taille humaine. De même, la créature de la mère ne pouvait pas être numérique, c’est un animatronique qui pèse 900 kilos ! Il fallait impérativement que l’acteur [Paul Kircher] puisse la regarder dans les yeux, jouer face à elle. C’était des contraintes, mais des bonnes contraintes. À chaque fois, ça raffermissait les thèmes."
Le résultat à l’écran est plus que convaincant, et ce processus de fabrication a en effet permis aux acteurs de s’exprimer pleinement sur le plateau. Un cocktail qui a permis au Règne animal d’être sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs du dernier Festival de Cannes, et de s’imposer comme l’attraction de l'automne 2023 dans les salles françaises, alors qu’aucune grosse production hollywoodienne ne pointait à l’horizon. Le pari était fou, mais il a été tenu.
Le Règne animal : une suite est-elle possible ?"J’avais envie de lui faire confiance, tant sur les moyens alloués au film que sur les effets spéciaux, avec toujours cette crainte que ça fasse un peu « carton-pâte » !", explique Romain Duris dans le dossier de presse du film. "Au final, son idée de mélanger les maquillages, les effets plateaux puis le numérique en post-production produit un résultat totalement réussi esthétiquement. On y croit vraiment ! Au fond, je n’ai jamais douté de la réussite de cet aspect du film car dès le départ j’ai perçu l’exigence de Thomas à tous les niveaux du projet…"
Thomas Cailley : "J'ai l'impression que le public s'est emparé du Règne animal"
Commentaires