Le Fil de Daniel Auteuil
Zinc

Acclamé à Cannes, Le Fil qui marque son retour à la réalisation triomphe en salles depuis mercredi. Il revient sur la fabrication de ce film et la suite de ses aventures derrière la caméra

Qu’est ce qui fait que vous avez eu envie de replonger et de revenir à la réalisation, huit ans après votre dernier film ?

Daniel Auteuil : C’est vrai que j’étais plus parti dans la chanson. Mais, tous les matins, en emmenant mon fils à l’école, je ne pouvais pas m’empêcher à la manière dont je pourrais filmer tel ou tel lieu. Bref, j’avais les décors d’un futur film ! (rires) Et puis un jour ma fille Nelly m’a demandé à lire le blog de cet avocat, Jean- Yves Moyart. J’ai eu au départ un peu de mal à rentrer dedans, de tous ces récits qu’il avait compilés dans une sorte de journal intime. Jusqu’à ce que je tire un premier fil. Ce parallèle entre cet avocat qui a arrêté de plaider après avoir fait acquitter un type qui a récidivé et ce type que je suis qui avait arrêté de faire des films parce qu’ils ne plaisaient plus. Le fait que lui comme moi, on replonge. Parce qu’au fond, dans nos têtes, on n’avait jamais arrêté. Et qu’à un moment, au fond, plus personne ne peut nous arrêter de faire ce qu’on aime. Mais c’est aussi le fait d’être entouré de jeunes gens qui m’a bousculé. Tout comme le fait d’avoir écrit des chansons, des petites histoires, qui m’ont donné confiance à ma capacité à me lancer dans l’écriture de ce scénario. De partir pour 3 ans de travail. J’y ai pris un énorme plaisir tout comme dans les échanges avec le directeur de la photo Jean- François Hensgens que j’avais rencontré sur Un silence de Joachim Lafosse et lui communiquer mes envies de grain, d’épaisseur sur l’image, de montrer cette Camargue comme je la voyais moi, loin d’un paysage de carte postale. Mais tout cela est le fruit d’un enseignement. Sautet m’a appris à écouter et Pialat à regarder. Mon œil s’est aiguisé au fil du temps. C’est sans doute quand on commence à voir des choses que les autres ne voient pas qu'on devient artiste. Mais c’est une vie tout ça…

Et parmi les jeunes gens que vous citez, il y a donc votre fille Nelly qui signe son premier film comme productrice…

Entre son père et sa mère (Emmanuelle Béart), elle baigne dans le cinéma depuis toujours. Parce qu’elle était jolie, tout le monde lui disait : tu ne veux pas faire du cinéma ? Alors, je l’ai mise devant une caméra quand je tournais La Fille du puisatier et là, j’ai vu quelque chose qui s'est un peu refermé en elle. Je ne lui en ai jamais reparlé mais je savais que son destin ne l’emmènerait donc jamais là. Elle a fait tout autre chose, des études d’avocat… Et puis elle est venue vers le cinéma mais par la production, en sachant qu’elle a passé une partie de sa vie à lire tous les scénario de son père et de sa mère. Il y a donc une continuité…

LE FIL: LE RETOUR GAGNANT DE DANIEL AUTEUIL REALISATEUR [CRITIQUE]

Avec Le Fil, vous allez sur un terrain un peu miné, la justice, sur lequel tout le monde ou presque a un avis tranché et en pointant du doigt la difficulté de désigner une vérité seule et unique. C’était ça l’idée de départ, montrer son humanité avec les dommages collatéraux que cela peut signifier ?

Je crois que c'est aussi l'histoire d'une vie. Ce film reflète ce que je suis, comment je n’aime pas juger. Ma pudeur à ne pas expliquer. J’ai fait depuis longtemps miens les mots de la Reine Elizabeth : « Never explain, never complain » ! (rires)

Chanter sur scène a changé votre manière d’être sur un plateau ?

Vous savez, à chaque fois que je rentre en scène, je me demande ce que je fais là. Jeune homme, je me souviens, je reprenais des pièces en trois jours, avec un sentiment d’urgence que j’ai toujours eu et une intensité à pratiquer ce métier. Et je suis content d’être revenu à la mise en scène, même s’il a fallu du temps et d’avoir réussi à imposer quelque chose qui me ressemble. Chanter sur scène m’a libéré. C’est quand même un drôle de truc. Les gens qui viennent, ne viennent pas voir le chanteur, ils ne connaissent pas mes chansons mais ça me touche qu’ils se déplacent. Il y a un échange qui se fait. Je sens qu’ils sont contents de me voir si heureux. Je suis très lucide et en même temps très crédule. Mais avant de commencer cette tournée de chanteur, j’ai repensé à un film que j’ai adoré, Guy, même si la situation est différente. J’anticipais ceux qui pouvaient se dire « ce vieil acteur quand même, il pourrait rester chez lui… » Sans doute que certains l’ont pensé mais je n’ai pas eu l’impression de faire la tournée des Ehpad ! (rires) Et comme j’avais quand même toujours un peu de succès comme acteur, on ne pouvait pas se dire que je cherchais juste un moyen de rebondir coûte que coûte…

Comment avez- vous vécu la présentation du Fil à Cannes ?

La toute première fois où j’étais allé à Cannes, c’était presque en voisin, comme spectateur. J’y avais vu Une journée particulière. Comme acteur, ce fut pour Ma saison préférée en 93 puis il y a eu le prix d’interprétation pour Le Huitième jour bien sûr, l’année où j’avais été membre du jury… Cannes, c’est le festival le plus important au monde. Le Graal. Alors imaginez ce que j’ai pu vivre en y étant invité comme metteur en scène. Cela restera le plus grand bonheur de ma vie d’artiste. Car tout d'un coup mon travail était reconnu. Et la standing ovation qui a suivi la projection m’a bouleversé. J’ai toujours dit que pour un film, l’avis de la presse est aussi important que celui du public. Il faut avoir les deux. Claude Berri a été frustré à vie car il avait tout sauf un enthousiasme de la critique. Maurice Pialat a été frustré à vie car il aurait rêvé avoir plus de succès en salles. Je n’ai pas la nostalgie de ce qui a été. Je dis toujours que le bon temps c'est réellement maintenant. J’ai souvent entendu des comédiens comme Alain Delon expliquer qu’ils avaient arrêté de tourner car il n’y avait plus de cinéaste. Je pense exactement l’inverse. Il faut avoir la curiosité de se laisser embarquer par des jeunes gens qui viennent vous voir, quitte à se tromper. Moi je prends ça comme une chance incroyable que des jeunes gens viennent toujours me voir. J’ai toujours donné ce conseil aux jeunes acteurs : tourner, tourner… Vous apprendrez y compris dans les mauvais films et puis, après, une fois ces expériences faites, à vous de trouver un cap

Quel a été le vôtre ?

Être en accord avec ce que je ressentais. Arrêter les comédies de ma jeunesse quand j’ai commencé à me répéter, quand je n’y croyais plus moi- même. Je n’ai pas travaillé pendant un an, alors que j’étais jeune père, donc c’était tendu financièrement mais je ne pouvais pas faire autrement. Et puis il y a eu le miracle Ugolin. C’est marrant, ces histoires de trous dans des parcours. Car quand on creuse, on s’aperçoit que tous, même les plus grands, sans exception, en ont connu.

Revenir à la réalisation vous a donné envie de faire un autre film ?

J’étais prêt à enchainer, je suis parti sur deux idée de scénarios. Mais j’ai réalisé que j’avais tort de me précipiter. J’ai le temps. En tout cas, je veux le prendre.

Vous reviendrez à Pagnol ?

J'ai une très belle version de César. Qu'est ce qu'on en fait ? (rires) Je voudrais explorer précisément ce qu’Alex Lutz a si bien fait dans Guy : cette recherche de paternité. Ce vieux père, Panisse qui ne veut pas dire que Césariot n’est pas son fils parce qu'il veut que ça reste son fils jusqu'au bout. Et le jeune fils qui découvre et qui va à la découverte de son « vrai » père, Marius, et qui est déçu. Ca me bouleverse. C’est cette histoire que je voudrais raconter, d’une manière ou d’une autre. Et vous savez, je suis quelqu’un de tenace. (rires)

Le Fil. De Daniel Auteuil. Avec Daniel Auteuil, Gregory Gadebois, Alice Belaïdi… Durée : 1h55. En salles depuis le 11 septembre