Tous les jours, le point à chaud en direct du 77e festival de Cannes.
Le film du jour : Le Comte de Monte-Cristo (hors-compétition)
C’est hors compétition qu’on a découvert le nouvel opus du Dumas Cinematique Univers. Un grand film d’aventure ample, épique, spectaculaire qui marche sur les traces de Rappeneau (le rythme, le mouvement, la vitesse) et installe un personnage légendaire qui n’est pas sans rappeler les super-héros yankee. Dans cette nouvelle version de Monte Cristo, le héros est ainsi défini comme un proto Batman (l’argent, les masques, la justice divine). Dantès / Cristo = Wayne / Batman. Mais c’est plutôt dans les choix d’écriture du personnage que le film se révèle vraiment convaincant.
Le héros ici n’est pas un acteur qui s’invente une nouvelle identité (lecture traditionnelle du personnage), c'est un créateur de faux-semblants, un bâtisseur de décors dans lesquels il va piéger ses proies. C’est un metteur en scène qui trompe son monde et dont la pièce se jouera en trois actes. Mortels. Epique, rythmé, spectaculaire, la mise en scène est à la hauteur des enjeux. Mais évidemment, rien ne fonctionnerait sans la puissance de Niney. Elégance, fluidité, aisance, il compose un (double) personnage dont le combat interne (moral) est rendu à merveille. Un rôle qu’on croirait taillé sur mesure.
4 questions à Sean Baker, réalisateur d’Anora (en compétition)
Rencontre expresse avec le réalisateur du brillant Anora, conte de fées trash racontant la romance tarifée entre une travailleuse du sexe new-yorkaise et un héritier de l’oligarchie russe.
Sean, à la projection de gala d’Anora mardi après-midi, on a pu voir Abel Ferrara, Gaspar Noé… Des fans ? Des copains ?
Maintenant, ce sont des copains, oui ! Mais ce qui est génial par-dessus-tout, c’est que ce sont des influences. Je suis sûr qu’Abel voit son ADN partout dans Anora. Quand je filme le personnage de Toros au volant de sa voiture, par exemple, ça vient tout droit de Harvey Keitel dans Bad Lieutenant. C’est surréaliste pour moi d’imaginer que ces gars qui ont exercé une telle influence sur moi sont là, à Cannes, en train de regarder mon film… J’espère qu’ils ont aimé !
Vous avez écrit le film pour Mikey Madison. C’était elle ou personne d’autre ?
Absolument. Je n’avais jamais travaillé avec une actrice aussi impliquée. Rendez-vous compte : elle a fait trois mois d’entraînement de pole-dance pour 20 secondes à l’écran. 20 secondes ! Elle a appris le russe, et à parler avec un accent new-yorkais… Je l’ai découverte dans Once upon a time… in Hollywood. Elle volait toutes les scènes dans lesquelles elle apparaissait, je me suis dit : « Qui est cette fille ? » Je suis retourné voir le film deux fois d’affilée, juste pour revoir ses scènes à elle. Puis je l’ai vue dans Scream, et j’ai pu constater qu’elle avait vraiment une palette très large.
Dans le générique de fin, vous saluez le réalisateur espagnol Jesus Franco et l’actrice Soledad Miranda…
Oui, je pensais en particulier aux deux films qu’ils ont fait ensemble, Vampyros Lesbos et Crimes dans l’extase. La façon dont Soledad Miranda y était filmée, dont elle inspirait chaque plan, voilà ce que je voulais faire avec Mikey. En fait, c’est Mikey qui a dicté le style du film. Je lui ai montré ces deux films très tôt lors de la préparation, ainsi que certains de Maurice Pialat.
Vous étiez à la Quinzaine des Réalisateurs il y a quelques années avec The Florida Project et, depuis Red Rocket, vous êtes un cinéaste qui montre ses films en compétition… Vous vivez ça comme une progression ?
Absolument ! Encore avant ça, j’ai commencé avec des films faits à la maison, il m’a fallu déjà pas mal de temps pour être sélectionné à Sundance. Mon parcours a été une trèèèèèès lente ascension. Mais être en compétition à Cannes ? Concourir avec des gens comme Coppola et Cronenberg ? Wow ! C’est un rêve devenu réalité.
L’avertissement inutile du jour : Motel Destino de Karim Aïnouz
Avant le générique de ce Motel Destino, un carton prévient les spectateurs que la lumière particulièrement vive du film pourrait indisposer les rétines sensibles. On entre donc ici un peu inquiet avec toutefois la promesse d’une expérience possiblement extrême. Et de fait, dans ce Brésil saturé de soleil, de sable blanc, de corps huileux et de néons, la clarté est indéniable. Pas de quoi, cependant, sortir ses lunettes noires de son sac.
L’action se passe dans un petit Motel rouge, jaune, violet du Nordeste, sorte d’Ibis cradingue où l’on peut louer des chambres minuscules pour s’envoyer en l’air discrétos. Après le pénible et inutile Jeu de la Reine l’année dernière, Aïnouz propose ici un “néon noir” supposément moderne et caliente autour d’un jeune fuyard qui va trouver refuge dans l’Ibis en question et s’attirer les foudres du patron et les faveurs de la patronne. On se fout d’à peu près tout dans ce drame poussif et il ne faudrait pas qu’en plus, on s’abîme les yeux ! Et si on a finalement fermé les paupières ce n’était pas tant pour se protéger de la rutilance de l’image que de la fadeur du récit.
La star du jour : Karim Leklou dans Le Roman de Jim (Cannes Première)
“Tout homme qui écrit écrit un livre ; ce livre, c'est lui”, a gribouillé Victor Hugo, un jour, dans une préface. Mais ça pourrait très bien coller à Karim dans Le Roman de Jim, le nouveau film des frères Larrieu, grande épopée romanesque s’étalant sur des décennies et racontant l’histoire d’un père et photographe contrarié dans un coin du Jura. Il y a des figures essentielles (Bertrand Belin, Laetitia Dosch, Sara Giraudeau) qui tournent autour, il y a le paysage et le temps qui passe, mais tout ça gravite autour de lui, dépend de lui, de son regard, de sa présence, de ses choix, de sa voix… Le Roman de Jim, c’est lui. On le sait à chaque film, même mineur, même fugace, même s’il ne joue un rôle tout aussi mineur et fugace (là, c’est pas vraiment le cas), mais Karim Leklou est vraiment une p*tain de star.
La séance du jour : Angelo dans la forêt mystérieuse
“Wesh monsieur, what’s your name ?”, “Jérémie, tu t’arrêtes tout de suite, tu arrêtes d’embêter le monsieur”, “Nico, Nico ! tu as vu le nouveau skin, j’te jure, c’est ouf. Surtout qu’avec je l’ai kill first try”. On hallucine. Il est 15h30, on est bien en salle Varda et nous sommes toujours à Cannes. Mais la salle a été prise d’assaut par une soixantaine de gamins. Un remake de Gremlins ? La sequel d’Entre les murs ? Non, la projection en séance spéciale d’Angelo dans la forêt mystérieuse, le nouveau film de Vincent Paronnaud et Alexis Ducord. Le bordel s’arrête tout à coup, et, comme un athlète prêt à tout gagner, Thierry Frémaux arrive en courant vers la scène avant d'interpeller les enfants. “Alors, vous êtes contents d’être au cinéma ?” Oui !!! “Et vous venez d’où ?” brouhaha indistinct. “De quelle école ? J’ai rien compris !“ Le brouhaha reprend. “Ouais, bon, vous me redirez ça tout à l’heure.”
Frémaux présente le film, fait venir l’équipe avant de repartir sous les bravos des gamins qui hurlent comme si Paul McCartney remontait les travées du Stade de France (“Coucou monsieur le directeur!”, “bravo monsieur Frémaux”). Le bain de foule terminé, le film commence. Une odyssée sympathique et presque théorique, dans laquelle un enfant perdu sans ses parents va traverser une forêt pour rejoindre sa famille et avancer entre rêve et réalité. Chaque étape de son voyage prend forme dans des formats d’animation différents et fonctionne presque comme un parcours ludique de l’histoire du dessin animé. Dans la salle, ça rit, ca réagit, ça s’amuse. Mais rien d’aussi spectaculaire que l’apparition de Frémaux au début… Quel showman !
Aujourd’hui à Cannes
Après la Semaine de la critique, au tour de la Quinzaine des cinéastes de s’achever avec Les Pistolets en plastique, le nouveau film de Jean-Christophe Meurisse trois ans après la comédie politico-trash Oranges sanguines (projeté en Séance de minuit). Cette fois, il s’inspire de l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès (ici il s’appelle Paul Bernardin). Ça promet.
Le retour de Gaël Morel avec Vivre, mourir, renaître (son dernier long, Prendre le large, remonte à 2017) est en Cannes Première : le récit d’un trouple dans les années SIDA. L’affiche rappelle beaucoup Les Nuits fauves (le sujet aussi), le choc de cinéma absolu du réalisateur.
Deux infirmières de Mumbai s’embarquent dans une quête mystique au coeur de la forêt : c’est All We Imagine As Light de Payal Kapadia, qui a gagné l’Oeil d’or du meilleur docu pour Toute une nuit sans savoir (Quinzaine 2021) et qui a carrément le don pour trouver des titres de film sublimes. C’est en compétition pour la Palme d’or.
Mais l’évènement du jour, toujours en compétition pour la Palme, sera bien sûr L’Amour ouf de Gilles Lellouche avec François Civil, Adèle Exarchopoulos, Mallory Wanecque et Malik Frika. Une fresque de 2h45 avec une BO dingo qui raconte une histoire de star-crossed lovers depuis les années 80. Le premier qui dit “ça va être ouf” reste à Cannes jusqu’à l’an prochain.
Et n’oublions pas Cannes Classics : une version restaurée de l’éternel Parapluies de Cherbourg sera projetée, film qui est, d’après Audiard himself, la référence principale d’Emilia Pérez.
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