Kōji Yakusho : prix d'interprétation masculine à Cannes 2023
ABACA

Prix d’interprétation masculine pour sa prestation dans Perfect Days de Wim Wenders, Kōji Yakusho est aussi sympathique que son personnage. Rencontre cannoise.

Parmi les bonnes choses du palmarès du Festival de Cannes 2023, il y a ce prix d’interprétation masculine pour le japonais Kōji Yakusho. Il est le héros solitaire de Perfect Days, le nouveau long-métrage très sensible de Wim Wenders. Yakusha est Hirayama, en charge de nettoyer les toilettes du quartier bourgeois de Shibuya à Tokyo. L’homme s’acquitte de cette tâche, que d’aucuns jugeraient ingrate, avec douceur et application. Lors de ses trajets en voiture, il écoute sur son vieil autoradio des K7 de Lou Reed ou Patti Smith, lit du Faulkner avant de s’endormir et regarde les feuilles des arbres caressées par le vent comme nous étions à l’origine du monde. Hirayama était, toutes compétitions de cette 76e édition confondues, le personnage le plus zen et sympathique.

Kōji Yakusho, 67 ans, ne les fait pas. Son visage imprime le cinéma japonais depuis plusieurs décennies. Palmé d’or via L’Anguille de Shōhei Imamura en 1997, on l’a surtout vu traverser le cinéma de Kiyoshi Kurosawa depuis Cure, toujours en 1997. Les amoureux dIñárritu se souviennent peut-être de lui dans l’épisode japonais de Babel en 2006. Quelques jours avant son sacre cannois, nous l’avons croisé croisette.

Perfect Days, la critique de Première

D’où vient votre envie de devenir acteur ?

Je suis né à Nagazaki sur l’île de Kyushu dans le Sud du Japon. Rien ne me destinait à devenir acteur. Quand j’ai débarqué à Tokyo, j’ai intégré une préfecture de quartier en tant que fonctionnaire. Cela a duré quatre ans. C’est une invitation au théâtre qui a tout déclenché. Une collègue m’a invité à une pièce avec Tatsuya Nakadaï, véritable star du théâtre en cette fin des années soixante-dix. Je me suis immédiatement passionné pour l’art de la scène dont je ne connaissais rien ou presque. La chose qui me frappait surtout, c’était le plaisir que semblaient prendre les gens sur scène. Tatsuya Nakadaï avait ouvert des cours d’art dramatique. J’ai passé le concours et été admis. Seul le théâtre comptait pour moi, malheureusement les pièces des auteurs japonais étaient très peu jouées, il s’agissait majoritairement d’adaptations de grands textes européens. Le cinéma, en revanche, vous permettez de vous immerger dans la culture japonaise. Or l’industrie cinématographique traversait une crise économique, ce qui n’empêchait pas des jeunes auteurs de chercher de nouvelles façons de raconter des histoires et donc de faire confiance à de nouveaux visages. J’ai eu ma chance. Je leur en suis reconnaissant.

Votre vrai nom est Kōji Hashimoto. Pourquoi avoir changer de patronyme ?

C’est Tatsuya Nakadaï qui m’a rebaptisé Yakusho, qui en japonais signifie : administration. Comme j’avais été fonctionnaire avant de devenir acteur, il avait décidé que ça m’irait bien. Je n’aimais pas du tout, mais je n’ai pas pu dire non. Et aujourd’hui encore je dois le supporter (rires)

Perfect Days
Haut et Court

Vous souvenez-vous de votre présence à Cannes pour la Palme d’or de L’Anguille de Shōhei Imamura en mai 1997 ?

C’est la première fois que je m’étais les pieds dans un festival de cinéma. J’ai été immédiatement impressionné par la ferveur des gens du monde entier pour le cinéma. Quelques jours après la présentation de L’Anguille, Shōhei Imamura est directement rentré au Japon. J’en ai profité pour me rendre à Paris pour visiter la ville que je ne connaissais pas. A peine arrivé sur place, on m’appelle pour me prier de redescendre à Cannes car le film risquait fort d’avoir un Prix. Ils ne voulaient bien-sûr pas me dire de quelle récompense il s’agissait. Je devais remplacer  Shōhei Imamura pour la récupérer sur scène. J’ai à peine eu le temps de prendre un café et un croissant sur une terrasse comme un vrai touriste, que j’étais déjà dans l’avion pour Nice. Le soir de la cérémonie, j’étais persuadé que L’Anguille allait obtenir un Prix honorifique, celui du cinquantième anniversaire par exemple. Je n’avais aucune pression. Or plus la cérémonie avançait et plus les choses commençaient à devenir sérieuses. A la fin, il ne restait plus que la Palme. J’avais vu juste avant moi Sean Penn faire la bise à Catherine Deneuve en montant sur scène récupérer son Prix (pour sa prestation dans She’s so Lovely de Nick Cassavetes) Je me suis dit que je pourrais peut-être faire la même chose. Mais au moment de me retrouver devant elle, je n’ai pas osé, je me suis juste incliné. Je le regrette un peu aujourd’hui (rires).

Hirayama, le héros de Perfect Days, incarne une certaine nostalgie... Vous reconnaissez-vous en lui ?

Sur ce point je suis à l’exact opposé. J’ai plutôt tendance à me ruer sur les nouvelles technologies. En revanche, je n’arrive pas à jeter et accumule donc beaucoup de choses. Chez moi vous pourrez trouver des antiquités ! Hirayama lui produit très peu de déchets, il se contente de ce qu’il a, ne cherche pas la nouveauté à tout prix. C’est lui qui est dans le vrai. Je l’envie, j’aimerais avoir cette sagesse.

Perfect Days. De Wim Wenders. Avec : Kōji Yakusho, Min Tanaka, Tokio Emoto... Durée : 2h03. Sortie le 29 novembre.