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Il a joué dans plus de soixante films et presqu’autant de séries télé. Il a « hosté » le Saturday Night Live quatorze fois (un record homologué) et marqué de sa corpulence balourde les grandes étapes de la filmo des frères Coen. Sa voix est presqu’aussi célèbre que lui : de Kuzco à Futurama, des Simpson à Cars, du Big Daddy de La Princesse et la grenouille à Sully de Monstres & Cie, elle a bercé nos vies de son timbre rocailleux, immédiatement reconnaissable. On est à peu près sûr, quand on l’entend, qu’elle déclenche en nous un signal inconscient : « Tout ira bien, John Goodman est arrivé ». Même dans The Artist, il nous a semblé qu’il parlait …A l’image de la plupart de ses rôles, Goodman est un acteur fondamentalement « working class ». Pour les américains, qui mesurent le passage du temps à travers leur télé, il fut pendant neuf ans le mari super coulant de Roseanne (Barr), dans la sitcom du même nom. Un père de famille en salopette vociférant dans la cuisine, au caractère bien trempé et au cœur gros comme ça. Pour une tranche du public née avec le cinéma de Tarantino, il restera l’ex-militaire dingo Walter Sobchak de Big Lebowsky des frères Coen, l’un des plus grands psychopathes jamais célébrés à l’écran, l’un des plus doux, et paraît-il un portrait déguisé du cinéaste-armurier John Milius… Entre ces deux rôles réside toute l’étendue du registre de John Goodman. Tout son génie. « Quand je me regarde dans un film, je ne vois que ce qui est raté, déclarait-il récemment à l’hebdomadaire Entertainment Weekly. Je suis incapable de me regarder objectivement. Sauf dans The Big Lebowski. C’est tellement bien écrit que je me contente d’apprécier, je me laisse aller comme tout le monde… Babe Ruth (dans The Babe, 1992, sur la fameuse légende du Base-Ball, le rôle qui aurait dû l’emmener vers l’Oscar, ndr), voilà un rôle que j’aimerais ré-examiner. Je ne peux pas me voir là-dedans, c’est comme ce rêve où vous vous retrouvez à poil dans le métro ».Dernièrement, la carrière de Goodman a pris un tour inattendu. Là où d’autres acteurs vétérans de son âge (60 ans) ont accepté de garnir discrètement les rangs du cinéma américain, lui a gagné en présence et en pertinence à Hollywood : il est simplement partout. Autorité citoyenne dans Treme , PDG d’une fabrique d’armes dans Damages, roi de l’embrouille dans Argo et sujet d'une réplique au débotté dans 40 ans mode d’emploi (« - Qui passe trente minutes à chier aux toilettes ?  - John Goodman ! »). Dans Flight, il fait du pur John Goodman – amélioré. L’un des plus grands rôles de sa carrière, l’un des plus courts aussi : Harling Mays (super nom !), un thérapeute physique qui redonne du « peps » à ses clients alcooliques en leur administrant un savant dosage de cocaïne. Il déboule sur une musique des Rolling Stones, fait son business, et repart en chaloupant avec la satisfaction d’un travail - sinon moralement irréprochable - en tout cas extrêmement « bien fait ». Ce qui vaut bien sûr pour l’ensemble de la carrière de Mr Goodman. Benjamin Rozovas