DR

On était dans l’amphithéâtre Lumière pour la célébration des 70 ans du Festival

C’était la soirée la plus courue et la plus secrète du festival. Impossible pour les journalistes d’y entrer (« non, désolé, nous expliquait le centre de presse le matin même. On n’a pas d’invitations. Mais vous avez de la chance dans votre malheur : ça vous permettra de venir voir Rodin »). Impossible de savoir ce qui allait s’y passer. Impossible surtout de connaître le nom des guests. Les invitations étaient comptées et il a fallu ruser pour obtenir son sésame. Ruser, et payer ses quinze euros pour le nœud pap en bas des marches (on avait prévu le costard, pas le bow tie…). Mais on y est arrivé. Et à H-2, bousculé sur le red carpet, obsédé par les robes dos nu des femmes, sommé de retourner ses poches sous les portiques et obligé de se précipiter pour avoir une place pas trop pourrie, on se disait qu’elle avait intérêt à être belle cette soirée anniversaire…

An electrifyin evenin…

Tout ça pour quoi ? An electrifyin evenin with Thierry Frémaux et Isabelle Huppert. Pendant une heure trente (« la durée d’un film » comme le fit remarquer le sélectionneur qui compte en 35 mm), Isabelle et Thierry ont orchestré une party avec des montages d’archives, quelques morceaux live et des discours de personnalités venus sur scène pour souffler les bougies. Un show à l’américaine, entre-soi, qui brillait par un mélange d’intime et de cérémonial. Un savant mélange qui démontre l’art consommé du délégué du festival, connu pour ses talents de showman. Du rythme, quelques punchlines bien placées, un peu d’émotion, des personnalités… la classe américaine comme dirait Hazanavicius.

Après une montée des marches qui marche (c’était pas non plus la folie), Frémaux, G.O. d’un soir rameutait les palmés pour lancer les festivités (« David, Jane, let’s go ! » « Pedro, Claude, Michael… c’est parti, faut y aller ! »). Pire que des festivaliers en goguette, les guests faisaient n’importe quoi sur le red carpet : Will Smith voulait faire chanter le public, Polanski filmait la montée, Claude Lelouch filmait Polanski en train de filmer la montée, Jerry Schatzberg semblait se demander ce qu’il foutait là et Jane Campion tenait fermement la main de David Lynch qui semblait avoir envie de disparaître. Loin du palais, loin du festival, loin de Cannes… Thierry Frémaux a finalement réussi à ramener tout ce beau linge dans l’amphithéâtre avant de lancer la cérémonie.

Formalités et lyrisme

Comment parler de Cannes sans parler de soi (surtout quand on est le délégué, armé des pleins pouvoirs) ? Impossible et Frémaux a débuté la soirée sur des souvenirs personnels en applaudissant les spectateurs en corbeille : « quand j’arrive sur cette scène, je regarde toujours là-haut. Quand j’étais jeune festivalier, j’étais là-haut. Ce soir, je me dis qu’il y a peut-être parmi vous quelqu’un qui deviendra sélectionneur ». Un discours d’intro parfait avant d’inviter Isabelle Huppert à le rejoindre sur scène. Zaza s’est alors lancée dans un discours anniversaire qui sut marier l’émotion et l’officiel, le souvenir formaté et la gentille provoc. Côté pile (officiel), elle a cité quelques grands noms qui ont jalonné l’histoire du festival (Orson Welles, Cocteau, Bresson, Le Vol des cigognes de Kalatozov – la classe) et côté face elle a su rappeler que le festival avait attribué « 76 palmes d’or dont une seule à une femme… no comment ». Elle a aussi évoqué Gene Hackman son « acteur fétiche qui maintenant écrit des livres et ne tourne plus. Cinéastes américains, ramenez-nous Gene Hackman, même sur Netflix ! »

DR

Drôle, bien joué (c’était le minimum) et pas trop convenu, son speech sut même se faire lyrique lorsqu’elle a conclu : « Tous ces souvenirs donnent envie de travailler, de monter, de mixer, de travailler et de faire exister le cinéma qui a besoin de nous, comme on a besoin de lui ». Frémaux et Huppert ont ensuite introduit le premier montage consacré (comme pour répondre à la polémique annuelle) à la présence féminine dans le Festival de Cannes. Des jolis docs d’archives qui noyaient gentiment le problème parce qu’on y voyait beaucoup Bardot ou Claudia Cardinale. Sympathique, mais Frémaux sait bien que ce n’est pas ça qui est visé lorsqu’on taxe (parfois injustement) le festival de machisme.

« Le cinéma, c’est le lait »

Vint Lescure pour son discours (dont on n’a pas retenu grand-chose) avant que Frémaux ne lance un nouveau montage rassemblant toutes les Palmes d’or depuis 46. Entre 5-10 secondes par extraits qui disaient deux choses : 1/ on n’en connaît pas la moitié et 2/ comme nous le faisait remarquer Raymond Depardon le lendemain : « y a eu quand même de sacrés mauvais films qui ont reçu la Palme » - on n’a pas osé demandé à Raymond la science desquels il parlait. On lui fait confiance… Ce fut ensuite à Sorrentino de passer sur scène. A l’image de son cinéma, son discours fut drôle, chic et original. Son accent rital et son anglais approximatif ne permettaient pas de tout comprendre, mais il y fut question de filles aux seins nus, de producteur débiles, de longs couloirs d’hôtels, et de vache. On a quand même réussi à noter sa conclusion : « Cannes, c’est comme cette vache, un animal sublime qui n’arrête pas de produire du lait. Le cinéma, c’est le lait ». Paolo, on t’aime !

Nouveau montage sur les remises de prix. Rien à dire – peut-être parce qu’on n’écoutait pas vraiment : on parlait avec notre voisin qui envoyait des mails à Jan Harlan à propos de Kubrick. Puis Frémaux montra le gang des mexicains dans la salle (Diego Luna, Innaritu, Cuaron et Del Toro) avant d’appeler Guillermo sur scène. Ce fut le moment le plus étrange de la soirée. Quasiment hors-sujet, Del Toro fit un discours sur l’importance des monstres au cinéma. Visiblement très ému, pris par son sujet, Del Toro était complètement à côté de la plaque, mais son hommage à la poésie des monstres et à la nécessité du fantasme pour (sur)vivre dans une réalité éprouvante fut la bouffée d’air frais de la soirée… Mexicans rule !

Les enfants de Cannes

Frémaux enchaîna vite avec un nouveau montage sur les scandales cannois (on demande un moratoire sur le poing levé de Pialat). Et pour laisser souffler la salle, il invita ensuite Camélia Jordana et Babix à chanter deux thèmes cinéphiles. Manha de Carnaval (ou pour les fans de Sinatra A Day in the Life of a Fool) et Chabadabada. Joli brin de voix, bel accompagnement piano. Elégant. Délicat. Idéal. Surtout avant le discours de Vincent Lindon. Sans sa barbe, l’acteur se mit à lire un de ces textes engagés dont il a le secret. Bourré de citation (Camus, Vaclav Havel), pompeux et bizarrement distant, trop plein de références, son discours ne parvenait pas à émouvoir comme il avait su le faire deux avant sur cette même scène en recevant un prix d’interprétation… On avait commencé à tout noter avant d’abdiquer.

DR

Thierry Frémaux vint finalement mettre un terme à cette soirée en projetant un montage sur les enfants et Cannes. La vidéo s’ouvrait et se fermait sur Jean-Pierre Léaud dans les 400 coups et montrait de nombreux films cannois qui avaient su capter l’innocence, la rêverie et la force vitale des gamins. Une manière de rappeler que le cinéma reste un rêve de gosse ; une façon aussi de tisser des ponts avec la réalité sordide qui nous avait frappés la veille avec l’attentat de Manchester.

Avant de laisser la place à la montée des marches de 22h. Vianney (accompagné du drummer majestueux Manu Katché) reprit 7 chansons à consonances cannoises avant de laisser la place à toutes les stars du festival présentes dans la salle. Depardon, Haneke, Valeria Golino, Innaritu, George Miller, David Lynch, Almodovar, Catherine Deneuve, Jane Campion, Lelouch, Costa Gavras, Moretti, Ken Loach, Jerry Schatzberg, Christoph Waltz, Benoit Magimel, Juliette Binoche, Marion Cotillard, Nicole Kidman, Mads Mikkelsen, Cristian Mungiu, Bille August, Laurent Cantet et bien d’autres montèrent sur scène pour la photo d’anniversaire.

Il manquait des gens. Beaucoup de monde. Et beaucoup de monde célèbre (mais où étaient Clint, Coppola, Scorsese, Audiard, Malick, Moore, Tarantino, Lars Von Trier, Kusturica, les Coen ?). Mais hier soir, à l’ombre de regards envieux ou critiques, Thiérry Frémaux avait réussi à composer une soirée d’anniversaire sinon mémorable, au moins sympathique. C’était bien ça l’idée non ?

DR

(© Valery Hache / AFP)