Plus qu’une énième variation sur la crise de la quarantaine, Après la tempête se penche sur les désillusions d’un romancier.
Réputé pour ses drames familiaux, Hirokazu Kore-Eda semble ne jamais vouloir dévier de la même direction, comme s’il se laissait porter par le courant qu’il a créé. Mais, à la différence de ses précédents films, Après la tempête va plus profond, plus près de l’os, laissant une impression durable et presque douloureuse. Probablement parce qu’il touche un nerf particulièrement sensible lorsqu’il interroge son personnage sur ce qu’il a fait de sa vie. Plus précisément, il fait le point sur la différence entre les ambitions de la jeunesse et la réalité.
PETITES TOUCHES
Habitué du cinéaste, Abe Hiroshi joue Ryota, un jeune quinquagénaire dont l’ex-femme assume presque seule l’éducation de leur fils de 11 ans. Après avoir écrit un premier roman qui lui a valu un prix littéraire, Ryota n’a plus rien produit depuis quinze ans, à part des rapports d’enquête pour le compte d’une agence de détectives privés. Au départ, il justifiait cette occupation comme un travail de documentation en vue de son prochain roman, mais avec le temps, c’est devenu sa seule source de revenus, qu’il flambe régulièrement aux courses, manquant du même coup le versement de la pension alimentaire de son fils. Ce tableau d’une famille décomposée, le réalisateur japonais le dessine par petites touches au moyen d’un dispositif précisément situé dans le temps (le jour du mois où Ryota s’occupe de son fils) et dans l’espace : l’action va rapidement converger vers l’appartement de la grandmère, qui recèle une quantité d’informations sur la famille. Par exemple, la soeur de Ryota a pris la précaution de mettre hors de sa portée tous les objets de valeur qu’il n’aurait pas manqué de vendre pour pouvoir jouer. L’aïeule, jouée avec vivacité par Kiki Kilin, vit dans un HLM parce que son mari récemment décédé n’a jamais réussi à lui procurer l’appartement spacieux dans les beaux quartiers dont elle rêvait. Une façon de montrer que ce thème omniprésent –on ne fait pas toujours ce qu’on veut– s’applique aussi aux autres personnages. Un typhon sert de prétexte pour rassembler la famille dans le petit appartement où Ryota va tenter, avec la complicité de sa mère, un rabibochage improbable. Au cours des échanges, il y a beaucoup à apprendre sur la nature du talent, ce qu’on en fait, et son adéquation avec l’ambition. Il y est aussi question de l’hérédité, avec ce qu’elle transmet de bénéfique et de funeste. Ryota tient de son père son addiction au jeu, une des causes probables de l’éclatement de sa famille. Son propre fils a peut-être hérité des qualités et des défauts de Ryota: il écrit bien, comme le fait malicieusement remarquer sa grand-mère. D’un autre côté, il n’est pas non plus insensible à la valeur d’un ticket de loto.
PÈRE ET MARI
Kore-Eda a déclaré qu’il se sentait très proche de son personnage. Connaissant la dimension de sa filmographie (onze films régulièrement sélectionnés et primés dans les plus grands festivals), on voit mal le lien entre sa carrière et celle de Ryota. Peut-être que le cinéaste s'est rappelé son ambition contrariée de devenir écrivain. Mais c'est surtout en tant que père et en tant que mari qu'il a dû s'identifier. Même de ce point de vue, le jugement peut paraître sévère, mais il faut le prendre avec des pincettes. Si on voit le verre à moitié vide, alors cette histoire est celle d’un raté. Écrivain sans oeuvre, Ryota a aussi échoué à s’occuper de sa femme et de son fils. Si on voit le verre à moitié plein, le destin de Ryota n’est pas sans espoir. Malgré ses déboires et ses râteaux, il sort peut-être renforcé après la tempête symbolique et réelle qu’il vient de traverser. Hemingway disait que la meilleure chose qui puisse arriver à un écrivain est la pire chose qui puisse arriver à un homme, à condition qu’elle ne soit pas mortelle.
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