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Cette suite fête ses 25 ans.

Mise à jour du 19 juin 2017 : Batman : Le Défi fête ses 25 ans, cette semaine. Il est sorti précisément le 19 juin 1992 aux Etats-Unis. L'occasion de revenir en détail sur la création particulière de cette suite de Tim Burton, toujours portée par Michael Keaton. En 2015, pour fêter les 40 ans du blockbuster, Première avait analysé le succès de cette suite qui dénote parmi les adaptations de comics à Hollywood. A ne pas malquer si vous aimez le film.

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Article publié le 6 août 2015 : 1992: Au moins un avant J.P. Les dinos de Spielberg et l'armada numérique qui les accompagne ne seront lâchés que l'été suivant, en attendant on peut encore envisager de filmer, par exemple, une armée de pingouins terroristes en utilisant des nains dans un costume, plutôt qu'en faisant des copier/coller dans une salle d'infographie chez ILM. De ce point de vue là Batman Returns ressemble à un vestige, probablement le dernier énooorme blockbuster où tout ce qui est à l'écran était aussi là sur le plateau. C'est un film daté, mais pas forcément dans le mauvais sens du terme: il appartient simplement à une époque où les (gros) films étaient fabriqués d'une manière radicalement différente. C'était il y a moins de 25 ans, on jurerait aujourd'hui que ça date du temps des pionniers.

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Pas de numérique donc, mais pas vraiment besoin non plus.On le sait, Tim Burton est un cinéaste du riquiqui, un forcené du plan moyen, chez lui la tentaculaire Gotham City semble avoir la superficie d'un village de Saône-et-Loire avec trois grattes ciel gothiques déposés autour de la place du marché. Ça lui suffit et ça n'entrave jamais la bonne marche de son film, qui mise tout sur des personnages qui papotent dans des intérieurs lugubres.

C'est donc l'histoire d'une chauve souris frigide, d'un pingouin puceau et lubrique et d'une chatte SM qui s'amuse à exciter les deux autres, tout en se sentant très seule quand elle rentre chez elle le soir. Il y a bien deux, trois explosions et quelques bourres-pifs malencontreusement glissés au milieu de ce psy-show là, mais le film ne perd jamais de vue sa trajectoire: raconter une grande tragédie-cul au beau milieu d'un bal masqué expressionniste. C'est une anomalie qui n'a pu se produire qu'à cause du succès du précédent et parce qu'on a donné carte blanche à son auteur. Burton passe donc le cahier des charges à l'effilocheuse, balance dans la benne la basse FM de Prince et file les clés de l'orchestre à Danny Elfman, rameute son génial prod-designer d'Edward aux mains d'argent  Bo Welch (pour leur dernière collaboration) et confie le script à l'incontrôlable Daniel Waters (auteur de deux bizarreries cultes de Michael Lehman, Heathers et Hudson Hawk). Il leur demandera à tous de bien écouter tous les souhaits de la Warner et de faire exactement le contraire.

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Un film de salles gosses indiscutablement, truffé de dialogues à double sens, d'allusions grivoises, d'embardées craspecs où l'on joue au tic-tac-toe sur des visages scarifiés, et qui s'amuse à faire passer son super-vigilante pour un neurasthénique particulièrement inefficace (son seul morceau de bravoure du film: pousser un nabot obèse et désarmé à travers une verrière, trois minutes avant le générique de fin). Le prodige c'est que ce produit de contrebande particulièrement corrosif ne s'est pas confectionné sur le modèle anar de la terre brûlée, mais sur une vraie idée de cinéma classique qui ne fonctionne qu'à l'empathie ressentie vis à vis des personnages (tous incroyablement émouvants). C'est aussi pour ça que derrière la promesse non tenue de délivrer une planche comics pétaradante et la tristesse insondable qui l'irrigue d'un bout à l'autre, le film a fini par rapporter tout de même un peu de pognon (deux fois moins que le précédent néanmoins) et reste considéré aujourd'hui comme un petit classique (alors que ça ne viendrait à l'idée de personne de revoir le premier).

Bien sûr tout le monde s'est fait gentiment tirer les oreilles après cela, Waters a complètement disparu de la circulation, Burton a été illico éjecté du troisième volet et Joel flashy Schumacher est venu remettre un peu d'ordre tout-public dans ce bordel névrotique (avant lui aussi de péter les plombs au moment du quatrième opus, mais c'est une une autre histoire). A tout point de vue, Batman Returns ressemble à un baroud d'honneur, un dernier excès de vitesse avant de se faire embarquer par la patrouille. Après ça ni Tim Burton ni le comic-book movie ni blockbuster ne seront à nouveau les mêmes. En 93 les cartes seront redistribuées par un gros T-Rex très énervé et la face de l'entertainment, changée pour toujours. Une petite part du cinéma hollywoodien restera, elle, à jamais enfouie dans une ruelle sombre de Gotham. Elle y repose visiblement en paix.

François Grelet