Inspiré par une tragédie personnelle et présenté hors compétition, le second long métrage de Mathias Mlekuz bouleverse en évitant toute facilité lacrymale.
Un film comme un symbole. Celui que le cinéma, en dépit de toutes les stratégies marketing qu’on peut élaborer, reste une industrie de prototype, sans règle préconçue pour savoir ce qui va ou non toucher le public. Sélectionné sans distributeur – donc sans certitude de trouver un jour le chemin des salles – au festival du film francophone d’Angoulême en août dernier, il devait y être projeté comme « coup de cœur » de son co- directeur Dominique Besnehard. Et puis un des films prévus pour la compétition a finalement fait le choix d’aller à la Mostra de Venise. A bicyclette est donc monté d’un cran, projeté dans la course aux Valois. Résultat ? Un carton plein. Les Valois de la mise en scène et de la musique décerné par le jury et… le Valois du Public. Le tremplin idéal pour d’autres sélections en festival (Valenciennes), d’autres prix (celui du public encore et de l’interprétation masculine) et surtout pour décrocher le Graal : un distributeur qui compte. Ad Vitam, celui notamment de L’Innocent de Louis Garrel.
Alors qu’il débarque aujourd’hui hors compétition à l’Alpe d’Huez (où Mathias Mlekuz avait remporté le prix du public en 2019 pour son premier long, Mine de rien), un mois et demi avant sa sortie en salles, tous les voyants semblent au vert pour que A bicyclette ! puisse devenir l’un des premiers succès- surprise de l’année 2025. Celui d’un prototype unique. A bicyclette ! naît en effet d’une tragédie intime, peut- être de la plus insoutenable de toute. Le suicide de son enfant. Un drame vécu en 2022 par Mathias Mlekuz qui décide alors d’entreprendre le même voyage à vélo de La Rochelle à Istanbul - où il s’est donné la mort – qu’avait entrepris son fils Youri quatre ans plus tôt. Et d’embarquer avec lui son ami Philippe Rebbot qui lui glisse alors quasi instantanément l’idée d’en faire un film… qui va se construire au fil du trajet, sans scénario pré- écrit, dans l’improvisation
Comment faire de ce deuil intime un film capable de parler au plus grand nombre ? Et comment ne pas basculer dans le mélo lacrymal quand on a, de fait, aussi peu de recul sur le sujet, quand chaque kilomètre de ce voyage donne sans doute à son réalisateur- acteur et son camarade de jeu l’envie de chialer toutes les larmes de leurs corps ? C’est ce double prodige que réussit ici Mlekuz. Il y a tout à la fois de la dignité, du burlesque, de la profondeur dans A bicyclette !. Une sensibilité qui ne verse jamais dans la sensiblerie en se maintenant toujours sur ce fil ténu entre documentaire et fiction. Une capacité à rendre les personnages attachants sans en faire des anges, en montrant leurs failles, ce qu’il peut y avoir d’insupportable en eux, bouffés de l’intérieur par la douleur de l’absence de Youri. Tout n’est pas parfait dans ce film, loin de là. Quelques ventres mous, une réalisation qui souffre parfois de ce parti pris d’improvisation reine… Sauf que toutes ces imperfections nourrissent le film, le rendent encore plus attachant, à mille lieux d’une pornographie émotionnelle. Jamais on ne s’y sent de trop ou voyeur. Mais toujours à bonne distance. Celle qu’a su créer Mathias Mlekuz à chaque étape de ce voyage vraiment pas comme les autres. La preuve aussi que l’Alpe d’Huez accueille toutes les formes de comédie. Même celles qui vous laissent longtemps les yeux embués de larmes.
De Mathias Mlekuz. Avec Mathias Mekluz, Philippe Rebbot, Josef Mlekuz… Durée 29. Sortie le 26 février 2025
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