Première
par Thomas Baurez
Le cinéma chaplinesque du finlandais ne bouge pas. Le monde peut bien s’exciter, les guerres peuvent éclater, les néons vintages d’Helsinki continueront d’éclairer la nuit. Un univers en formica et bakélite qui se moque du temps présent, un univers où les téléphones portables existent peu, où les cinémas de quartier exhibent des vieilles affiches de Fu Manchu, Godard et Bresson, où le rock déglingué côtoie des bluettes... Et pourtant, dans ces Feuilles mortes, les nouvelles d’une Ukraine bombardée filtrent des transistors et les chansons qui tentent de les recouvrir sur le canal voisin expriment une même déchirure. Quand tout est triste à pleurer, l’amour peut nous sauver. Aki Kaurismäki y croit. Voici donc un mélo. Deux âmes en peine et silencieuses - une caissière de supermarché solitaire et un ouvrier alcoolique, se croisent dans un bar karaoké. C’est le coup de foudre. Le destin n’est pas tendre. Entre licenciements à répétition, accidents et coups du sort, la vie, comme dans la chanson de Prévert et Kosma, « sépare ceux qui s’aiment… » Kaurismäki ressemble en cela à ses personnages, êtres sauvages et discrets, peu à l’aise dans un réel qui impose du conformisme. Il faut donc recréer un cadre strict où évoluer sans subir les aléas du dehors. La mise en scène volontairement statique doit sa tension aux corps qui l’habitent cherchant maladroitement un point d’appui. C’est bien Chaplin qu’on ressuscite. Il a ici l’apparence d’un chien perdu sans collier, portant le célèbre patronyme. Aki ou le parti pris du tendre.