Ce qu’il faut voir en salles
L’ÉVÉNEMENT
THE NORTHMAN ★★★☆☆
De Robert Eggers
L’essentiel
Hamlet le barbare par l’auteur de The Lighthouse : le résultat est (curieusement) trop classique mais quand même bien costaud.
Après The Witch et l’OVNI The Lighthouse voici Robert Eggers dans un territoire inattendu : la « vikingsploitation », avec ce Northman, relecture d’Hamlet (cf. le nom du héros, habilement transformé en Amleth) au temps des drakkars, des pillages et des pains dans la gueule. Co-écrit par le parolier de Björk et de Dancer in the Dark, The Northman est aussi très inspiré de Conan le barbare auquel il emprunte littéralement certains plans, séquences, transitions et même des sonorités. Cette histoire de vengeance longtemps mûrie par un guerrier solitaire et mutique est trop classique pour surprendre de la part de l’auteur de The Lighthouse, mais l’ensemble, avec ses visions parfois dingo a quand même une sacrée gueule par rapport au tout-venant de cette « vikingsploitation » qui envahit tous nos écrans (même God of War et Assassin’s Creed n’y ont pas échappé ).
Sylvestre Picard
Lire la critique en intégralitéPREMIERE A ADORE
TRANCHEES ★★★★☆
De Loup Bureau
Son nom avait fait la une des journaux pour avoir été détenu arbitrairement en Turquie puis libéré après une intervention du Président Macron en 2017. Mais on découvre ici un nouvel arc des talents du journaliste Loup Bureau: il passe en effet pour la première fois à la réalisation d’un documentaire qui, tourné en 2020, trouve évidemment un écho tragique dans la situation actuelle. Pour Tranchées, il avait en effet passé plusieurs mois au Donbass, dans une casemate des avant-postes de l’armée ukrainienne, sur la ligne de front où les positions ennemies des séparatistes pro-russes étaient à portée de regard. Une immersion fascinante par son alchimie parfaite entre fond et forme. Car Tranchées est un film de parti pris. Ses images d’un noir et blanc sublime et ses fascinants plans- séquence déambulatoires donnent du relief et de la profondeur à ce voyage dans un quotidien fait d’attente, d’ennui, de bombardements, de courses pour se terrer dans les bunkers et d’angoisse. Mais cet esthétisme n’a rien de gratuit, il permet d’être au plus près de ces soldats, dont Bureau se montre aussi brillant confesseur des confidences. On se demande parfois ce que le cinéma peut apporter à un sujet essoré par les chaînes d’info Avec Tranchées, Loup Bureau apporte la plus flamboyante des réponses.
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A AIME
TOM ★★★☆☆
De Fabienne Berthaud
Qu’elle tourne en France (Pieds nus sur les limaces), aux USA (Sky) ou en Mongolie (Un monde plus grand), une constante existe chez Fabienne Berthaud. Son goût pour les personnages sortant de la norme et les atmosphères tout en contrastes, aussi bruts que poétiques. C’est sur cet équilibre instable qu’évoluent les héros de cette adaptation d’un roman de Barbara Constantine : un gamin de 11 ans qui vit avec sa mère dans un mobil- home en lisière d’une forêt avant que l’arrivée d’un de ses ex, ne vienne bousculer ce fragile équilibre. Fabienne Berthaud est une cinéaste de la sensualité à fleur de peau et des sentiments exacerbés. Et son film séduit précisément par sa manière d’évoluer sans trembler sur un fil qu’on sent à tout instant prêt à rompre en s’appuyant sur un casting au charisme dément : Nadia Tereszkiewicz (géniale aussi ce mois- ci dans Baby- sitter) et Félix Maritaud (Sauvage).
Thierry Cheze
THE DUKE ★★★☆☆
De Roger Michell
The Duke restera donc comme l’ultime long métrage de Roger Michell, disparu le 21 septembre dernier, à seulement 65 ans. Le réalisateur de Coup de foudre à Noting Hill s’y déploie dans un des genres chouchous du cinéma britannique, la comédie sociale. Et ce à travers un récit inspiré par le coup d’éclat en 1961 d’un chauffeur de taxi sexagénaire qui, mécontent de la politique gouvernementale envers les retraités, a dérobé un tableau de Goya au cœur de la National Gallery, réputée inviolable. On retrouve ici les deux piliers de son cinéma : une malice savoureuse et sa passion pour les comédiens. Le tout symbolisé par Jim Broadbent qui s’en donne à cœur joie dans ce personnage d’insoumis pépère ayant fait tourner en bourrique toutes les polices de Grande- Bretagne. Le manque de relief de la réalisation passe au second plan, le plaisir se situe ici dans sa facétie contagieuse et un cabotinage élevé au rang d’art.
Thierry Cheze
SUIS- MOI, JE TE FUIS ★★★☆☆
De Kôji Fukada
Au départ, il y a un manga de Mochiru Hishisato dont Kôji Fukada s’est emparé d’abord en série puis sous la forme de ce diptyque. L’occasion pour un cinéaste de s’essayer à la fresque amoureuse. L’histoire de l’employé d’une entreprise de feux d’artifice dont le cœur qui balance mollement entre deux collègues de bureau s’embrase soudain pour une jeune femme riche en secrets rencontrée par hasard. Le titre des deux films résume parfaitement l’ossature de l’intrigue - l’objet de sa passion ne va cesser de disparaître mystérieusement quand il cherche à s’en approcher puis de redébouler dans sa vie dès lors qu’il a décidé de l’oublier – mais pas la manière dont la fait vivre à l’écran Fukada. Dans un registre de thriller où plane une ambiance surnaturelle à la Lynch. Et dans la manière de s’emparer du mythe de la femme fatale pour le déconstruire. Le cinéaste revisite les codes de la comédie romantique avec un ton ludique inédit dans son travail. Il y a certes des trous d’air pendant les 4 heures du récit mais rien qui ne vienne mettre en péril l’essentiel : la fascination qu’exercent ces personnages et l’incapacité à anticiper ce qu’ils vont faire dans la seconde qui suit.
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéKARNAWAL ★★★☆☆
De Juan Pablo Felix
Ce premier long appartient à cette catégorie de films où tout semble écrit d’avance avant de bifurquer ailleurs. Son ouverture pose en effet la base d’un récit initiatique classique où un jeune Argentin trouve dans la danse - en l’occurrence le malambo – un moyen de fuir un quotidien difficile entre un père sous les barreaux, une mère dépassée et l’amant de cette dernière incapable de bienveillance envers lui. Jusqu’au jour où son paternel, bandit de grand chemin inapte à se ranger, sort de prison et vient pour quelques jours retrouver les siens. Karnawal devient alors un film sur cette famille plus décomposée que recomposée, où les instants de bonheur retrouvés ne font que renforcer une tension sourde et où les scènes de danse – mis en images avec soin – ne constituent qu’une des pièces d’un puzzle subtilement orchestré dont le dénouement reste longtemps en suspens. Une réussite.
Thierry Cheze
UN VISA POUR LA LIBERTE : MR GAY SYRIA ★★★☆☆
De Ayse Toprak
Hussein est un Syrien de 24 ans, réfugié en Turquie car son homosexualité dans son pays d’origine pourrait lui coûter la vie. Ce coiffeur d’Istanbul, qui a dû laisser sa fille et sa famille très conservatrice derrière lui, désespère de vivre une vie normale. À Berlin, Mahmoud est le fondateur du mouvement LGBT syrien. Une même ambition anime les deux hommes : cesser d’être invisibles, et pour cela tenter d’être les premiers Arabes du Moyen-Orient à participer au concours de beauté Mr. Gay World. Prétexte parfait pour la réalisatrice turque Ayşe Toprak, qui s’attarde sur les destins brisés des participants, coupés en deux entre l’amour de leur patrie et ce qu’elle leur inflige. Très beau documentaire, enjoué et pudique, et formidablement mis en lumière par le chef opérateur Hajo Schomerus.
François Léger
UTAMA : LA TERRE OUBLIEE ★★★☆☆
De Alejandro Loayza Grisi
Grand prix à Sundance, Utama se déroule sur une terre qui semble avoir été autant oubliée par les Dieux que par les hommes. L’immensité désertique des hauts plateaux boliviens où un couple octogénaire d’Indiens Quechuas, Virginio et Sisa veillent sur leurs lamas, dans un dénuement vécu comme un héritage des temps anciens. Et ni la sècheresse qui pousse beaucoup à fuir pour la ville, ni la maladie qui dévore Virginio ne semblent en mesure de changer quoi que ce soit… jusqu’à l’arrivée de leur petit- fils qui va tenter de les convaincre. Sur cette intrigue en apparence balisée où l’on sait très tôt que la grande faucheuse finira par triompher, Alejandro Loayza Grisi signe un film à forte densité émotionnelle tout en pudeur et sobriété, par la place centrale laissé aux silences pour raconter la chute du monde qui a constitué toute la vie de cet homme alors qu’il va lui- même s’éteindre.
Thierry Cheze
Retrouvez ces films près de chez vous grâce à Première GoPREMIÈRE A MOYENNEMENT AIME
NITRAM ★★☆☆☆
De Justin Kurzel
Justin Kurzel revient avec Nitram au style glacé et retenu de son premier long, Les Crimes de Snowtown. Il s’intéresse ici à une tuerie survenue à Port Arthur, en Tasmanie, en 1996 – un nommé Martin Bryant y avait tué 35 personnes, et blessé 23 autres, avec une sauvagerie qui avait traumatisé l’Australie. Le cinéaste prend ici bien garde de ne jamais prêter le flanc à la moindre accusation de fascination pour la violence. Dans un style distancié, presque « éteint », il examine les indices qui permettraient de comprendre le basculement du jeune homme dans la folie meurtrière, en une collection d’instants suspendus où l’on sent peu à peu monter la colère, jusqu’au déchainement final. A quelle distance filmer « Nitram » (le surnom de Martin) pour le comprendre sans l’excuser ? Pour qu’il nous touche sans nous fasciner ? Justin Kurzel soupèse ces interrogations à chaque instant, à chaque plan, comme on soupèse une grenade dégoupillée qui menace de nous exploser au visage. Mais cette vision sans doute excessivement clinique, trop précautionneuse, ne débouche du coup sur aucun vertige, malgré la présence toujours extraterrestre de Caleb Landry Jones.
Frédéric Foubert
Lire la critique en intégralitéL’ETE NUCLEAIRE ★★☆☆☆
De Gaël Lépingle
Gaël Lépingle a grandi non loin d’une centrale nucléaire dans le Loiret. Et cette enfance et les questionnements qui l’ont entourée autour des risques de l’atome a nourri cet Eté nucléaire, film au croisement de Malevil de Christian de Chalonge et du Grand central de Rebecca Zlotowski. On y suit une bande de vingtenaires qui se retrouve confinée dans une ferme alors qu’ils auraient dû évacuer la zone après un accident à la centrale nucléaire voisine de leur village et qu’un nuage radioactif plane dangereusement sur les lieux. L’entame est très réussie, créant un climat d’angoisse prenant qui n’aura ensuite de cesse de se déliter. Car Lépingle ne cessera de tergiverser, n’allant jamais au bout du pur film d’home invasion qui s’annonçait et laissant trop de place à des relations chiches en relief entre des personnages manquant eux de consistance. Dommage car sa mise en images (en pellicule) et son sens du cadre témoignent de sa capacité à créer une atmosphère intrigante à souhait
Thierry Cheze
L’ECOLE DU BOUT DU MONDE ★★☆☆☆
De Pawo Choyning Dorji
Avec son premier long, Pawo Choyning Dorji est rentré dans l’histoire de son pays. Jamais avant lui, un Bhoutanais n’avait décroché une nomination à l’Oscar. Et on comprend ce qui a séduit les votant dans cette histoire où un jeune instituteur, ne rêvant que de partir en Australie tenter une carrière de chanteur, se retrouve à devoir enseigner dans un village de la partie la plus reculée du Bhoutan. Le fait de ne pas jouer sur le simple dépaysement exotique tant dans sa manière de mettre en images les paysages sublimes que dans le regard qu’il porte sur les habitants de ce lieu du bout du monde, leur spiritualité, leur manière singulière d’appréhender la vie. Mais ce film souffre cependant d’un arc narratif par trop prévisible pour convaincre pleinement. A cause de lui, les moments les plus saillants de ce récit initiatique intime ne déploient jamais totalement la puissance émotionnelle qu’ils avaient en eux.
Thierry Cheze
PREMIÈRE N’A PAS AIME
TOURNER POUR VIVRE ★☆☆☆☆
De Philippe Azoulay
En 2011, Claude Lelouch avait signé d’Un film à l’autre, un docu dans lequel il passait en revue à travers mille anecdotes l’ensemble de sa filmographie. Tourner pour vivre peut s’envisager comme son complément, fruit de 7 ans passés par Philippe Azoulay au plus près de lui, dans ses bureaux, sur ses plateaux (Salaud on t’aime, Un plus une, Les Plus belles années d’une vie) ou lors d’événements comme la projection du Voyou au festival Lumière en présence de son plus grand fan, Quentin Tarantino. Il y a toujours quelque chose d’énergisant à voir la passion inaltérable avec laquelle Lelouch vit, dort et rêve cinéma mais ces images se suffisent à elle- mêmes. Et outre le fait que ce doc n’apporte rien qu’on ne sache déjà, les mots d’Azoulay qui l’accompagnent se contentent de paraphraser ce qu’on voit. Sans recul. En pur fan. A ce petit jeu, nul ne parle mieux de Lelouch que Lelouch lui- même.
Thierry Cheze
LES FEMMES DU PAVILLON J *
De Mohamed Nadif
À Casablanca, trois patientes et une infirmière d'un pavillon psychiatrique se lient d’amitié. Mariage arrangé, viol intrafamilial, perte d’un enfant… Toutes ont vécu l’horreur. Leur virées nocturnes et leur attachement l’une à l’autre seront l’occasion de revenir à la vie, et d’essayer de se sortir d’un cercle vicieux. Les Femmes du pavillon J est un vrai film d’actrices (les épatantes Assma El Hadrami, Jalila Talemsi, Imane Elmechrafi et Rim Fethi), naturelles et vibrantes. Mais la mise en scène apprêtée et le récit un peu trop larmoyant empêchent les (trop) nombreux sujets abordés par le scénario d’éclore.
François Léger
Et aussi
Cœurs vaillants de Mona Achache
Don de Cibi Chakaravarthi
Les Enfants de la liberté de Ariakina et Magà Ettori
Les Folies fermières de Jean- Pierre Améris
Ima de Niels Tavernier
Lettre à l’enfant que tu nous a donné de Charlotte Silvera
Maître Contout, mémoire de la Guyane de Xavier Gayan
On sourit pour la photo de François Uzan
Pissaro : père de l’impressionnisme de David Bickerstaff
Reprises
Au cœur de la nuit de Robert Hamer
La vengeance est à moi de Shohei Imamura
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