La Prochaine fois je viserai le coeur reviendra ce soir sur France 3.
La prochaine fois, je viserai le coeur de Cédric Anger avec Guillaume Canet, Ana Girardot, Jean-Yves Berteloot sera diffusé ce soir, pour la première fois en clair sur France 3. A sa sortie fin 2014, nous avions rencontré son acteur principal, ainsi que son réalisateur. Flashback.
Synopsis : "Pendant plusieurs mois, entre 1978 et 1979, les habitants de l’Oise se retrouvent plongés dans l’angoisse et la terreur : un maniaque sévit prenant pour cibles des jeunes femmes. Après avoir tenté d’en renverser plusieurs au volant de sa voiture, il finit par blesser et tuer des auto-stoppeuses choisies au hasard. L’homme est partout et nulle part, échappant aux pièges des enquêteurs et aux barrages. Il en réchappe d’autant plus facilement qu’il est en réalité un jeune et timide gendarme qui mène une vie banale et sans histoires au sein de sa brigade. Gendarme modèle, il est chargé d’enquêter sur ses propres crimes jusqu’à ce que les cartes de son périple meurtrier lui échappent.
Adaptation du livre Un assassin au-dessus de tout soupçon d'Yvan Stefanovitch."
En quoi ce fait divers, datant d’il y a 35 ans, résonnait-il pour vous aujourd’hui ? Cédric Anger : C’est un sujet intemporel, qui était déjà celui de Taxi Driver : une personne ne sait pas comment exister aux yeux des autres et prend le chemin de la violence, de la destruction. Quand mon producteur Thomas Klotz m’en a parlé, j’ai trouvé l’histoire folle et incroyable. Le plus intéressant était que la justice a été incapable d’expliquer les agissements d’Alain Lamarre. Sa justification, un peu vaseuse, était de vouloir redorer le blason de la gendarmerie en chopant le tueur, autrement dit lui-même ! Il tenait déjà un raisonnement de schizophrène. J’ai été bizarrement touché par lui. Son rêve aurait été d’intégrer les paras, le GIGN, puis les ambassades, mais tout lui a été refusé. N’arrivant pas à être « un héros positif » à ses yeux, il a choisi de devenir un héros négatif.
Le film a été difficile à monter. Malgré la présence de Guillaume Canet ? À l’image, on ressent la fragilité du personnage, son manque de plaisir à tuer. On n’est pas forcément en empathie pour lui mais, au moins, on est dans ses émotions. Ce n’était pas perceptible à l’écrit. J’étais sûr qu’on n’aurait pas de chaîne hertzienne. On a raté Arte à 1 voix près... Canal+ par contre a adoré le scénario, de même que Stéphane Célarié.
La Prochaine fois je viserai le cœur est à la fois déstabilisant et captivant (critique)
Quelle était votre idée directrice pour le personnage ? Il est tellement riche qu’on a dû faire des choix. Par exemple, Lamarre a également braqué des bureaux de poste, des maisons de la presse minables, des voitures, il a volé des chéquiers en les semant comme le Petit Poucet pour que ses collègues s’arrachent les cheveux à essayer de retracer son parcours. On pourrait en faire une série ! Moi, je voulais un film sec, sobre, qui tienne une ligne un peu radicale. J’ai donc passé le scénario au tamis de ce qui m’intéressait le plus, à savoir le côté instinctif et imprévisible de Lamarre.
Le travail de documentation (archives, procès-verbaux, témoignages) était-il un passage obligé ? C’est nécessaire de faire l’éponge. Connaître tout de Lamarre m’a été précieux pour la direction d’acteurs. Dès que Guillaume avait un doute sur certains non-dits, je lui racontais ce qu’ils recouvraient. Ça le nourrissait. J’ai par exemple montré les procès-verbaux relatifs à l’immersion de Lamarre dans un marais glacé pendant deux heures à l’aide d’un simple bout de bâton coupé pour respirer. Guillaume était inquiet à l’idée de tourner cette séquence mais, après avoir constaté sa véracité, il l’a faite et même refaite ! L’avantage des histoires vraies, c’est qu’on y trouve des éléments plus inventifs que dans n’importe quelle fiction. Personnellement, je n’aurais pas osé écrire cette scène où Lamarre va interroger sa propre victime à l’hôpital où celle où il organise une fausse course-poursuite sur l’autoroute.
Dans vos deux précédents films, deux types normaux sont plongés dans un univers de violence, là c’est un psychopathe qui est plongé dans la normalité. J’ai un peu fait ce film en réaction au précédent (L’avocat, ndlr) qui, de par son sujet, était forcément bavard. Je voulais renouer avec ce que j’aimais bien sur mon premier film, fonctionner par séquences visuelles comme dans le cinéma muet. Le film, de mon point de vue, raconte aussi quelque chose par l’image. C’est ainsi que j’ai conçu la scène des cerfs dans laquelle le héros fait apparaître une horde dans la forêt comme par magie. Je montre ainsi son côté illusionniste.
Vous avez aussi écrit L’homme qu’on aimait trop pour André Téchiné, où vous faites le portrait de Maurice Agnelet. Les deux films sont très différents mais se rejoignent sur un point : Agnelet et Lamarre restent des mystères. Oui. L’un a un motif pour tuer mais on ne sait pas s’il l’a fait, l’autre l’a fait mais on ne sait pas pourquoi ! Agnelet était dans le calcul, manipulateur malgré lui, enregistrant les conversations... Le mien prend son flingue, sa voiture, voit ce qu’il trouve, s’adapte, improvise.
Les scènes de scarification, d’osmose avec la nature, de déconne avec ses collègues sont-elles là pour « favoriser » l’empathie avec Franck, si c’est le bon terme ? L’empathie vient à mon sens du « je tue mais c’est compliqué ». Le rapport aux collègues était pour moi une manière d’introduire de la vie, et aussi de le différencier d’eux : il était très droit dans ses bottes, très consciencieux, alors qu’ils ont vraiment fait des conneries, ils sont triviaux, ils auraient pu deviner plus tôt. Cette monotonie de la vie de gendarme fait partie des pistes de réflexion quant aux actes de Lamarre, qui rêve d’être quelqu’un.
Guillaume Canet : "Je ne fais pas des films pour casser mon image, je m'en bats les couilles !"
Le personnage d’Ana est un peu sa planche de salut vers la normalité. Elle a vraiment existé ? Oui. Impossible de la rencontrer, elle a disparu de la circulation et refait sa vie. C’est sensible car elle bénéficie du droit à l’oubli. Je n’ai pas pris ça comme une contrainte, au contraire. Ce personnage, c’était comme une vie en pointillés que je devais relier, j’avais beaucoup de libertés. Elle était réellement la femme de ménage de Lamarre. Il s’est mis en ménage avec elle sous la pression familiale et sociale car il avait peur de sa propre sexualité. J’ai ajouté une couche de fiction avec l’histoire d’un ex mari malade pour ajouter une source de contrariétés à laquelle devait faire face Franck.
L’ambiguïté du film tient aussi dans sa forme, rythmée et spectaculaire. On peut le prendre au premier degré comme un pur divertissement, sans saisir toutes les nuances. Ça ne me dérange pas. En tant que spectateur, j’aime autant Garrel que Coppola, De Palma que James Gray. J’ai cherché avant tout à créer une atmosphère.
L’idée de mise en scène, c’était un personnage qui avance et qu’on suit ? Je vénère Le Samouraï de Melville dans lequel il n’y presque pas de dialogue et aucune psychologie. Le personnage est réduit à ses déplacements, c’est presque abstrait. J’ai modestement recherché la même chose. Plus on accompagne Franck, plus on le connaît, plus il est mystérieux. Comme l’histoire est en soi choquante, je voulais que la caméra soit caressante, presque en contradiction avec le tumulte intérieur du personnage. De la même façon, la musique ne joue pas du tout l’action.
C’est un rôle qui semble tenir à cœur à Canet, on le sent. On ne l’a jamais vu comme ça. Je pense qu’il l’attendait.
Ca vous amusait de jouer avec son physique de gendre idéal ? Oui, d’autant qu’on disait la même chose de Lamarre doté d’un physique assez avantageux... On a beaucoup travaillé sur le look du personnage avec Guillaume, qui s’est pas mal asséché pour le film.
Il a aussi le teint cireux. J’ai « récupéré » Guillaume après l’échec de Blood Ties qui l’a vraiment atteint, moralement et physiquement. Il était en colère par rapport aux critiques, trouvait que certains voulaient « se payer Canet ». Il m’est d’ailleurs arrivé d’appuyer sur ce bouton pour faire monter la rage en lui. En dehors de ça, c’était quand même un tournage très fatigant dans le Nord, en plein hiver.
N’a-t-il pas été trop intrusif sur l’écriture, ou après ? Sincèrement non. Il a parfois pointé des invraisemblances ou des dialogues trop écrits, rien d’anormal à ça. Par exemple, quand Franck tape pour rigoler sur la bagnole des flics, j’avais plutôt imaginé qu’il rayait la voiture rageusement ; il m’a objecté que ce n’était pas forcément cohérent, dès le début du film. Il avait raison. Si une idée est bonne, je prends. La scène où il tue l’auto-stoppeuse en pleurant est ainsi née sur le tournage d’une réflexion commune.
Pensez-vous que votre film et celui de Téchiné resteront des marqueurs forts dans sa carrière ? Je pense qu’il éprouve fortement le désir de travailler avec certains metteurs en scène, de sortir un peu de sa bande de potes. Il a envie de fonctionner par projet. Mais ce n’est pas à moi de dire si nos films vont impacter sa carrière ! Je peux juste avancer que tout film est un documentaire sur un acteur, qu’il raconte quelque chose de lui à un moment donné. Personnellement, cette collaboration m’a fait franchir un palier. Je me suis abandonné, j’ai été plus simple dans mes raisonnements. Je pense qu’on a un peu grandi tous les deux, nos destins sont liés.
Interview Christophe Narbonne
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