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Où on retient un pet et on mange un doigt.

L'année 2017 aura été particulièrement généreuse en scènes "what the fuck" (WTF). Entre une tarte mangée dans son intégralité, l'absence de Godard qui fait pleurer Varda, un androïde qui apprend la flûte à un autre et un pet retenu coûte que coûte, le cinéma nous a offert quelques pépites de grand n'importe quoi. Parfois ça passe, parfois ça casse. On fait le bilan, calmement.

Évidemment, spoilers à suivre sur les films concernés.

Godard dans Visages Villages

Le Pacte

Pendant une heure et demi, tout se passe bien. Agnès Varda et JR sillonnent la France en camionnette et réenchantent les campagnes de l’Hexagone à coups d’installations arty bienveillantes. Puis Visages Villages déraille (attention spoiler !) dans un dernier quart d’heure ahurissant, l’un des plus gros shockers cinéphiles de l’année. La grand-mère de la Nouvelle Vague et le street-artist à chapeau ont donné rendez-vous à Jean-Luc Godard dans son fief suisse de Rolle, au bord du Lac Léman. Ils débarquent là-bas au petit matin, la bouche en cœur, pour réaliser que JLG leur a posé un lapin, et a laissé sur la porte un petit mot cruel, une évocation nostalgique de Jacques Demy qui touche Varda au cœur. Celle-ci s’effondre, pleure, lève le poing, insulte Godard ("peau de chien !"). JR a l’air aussi interdit et embarrassé que nous. La petite balade humaniste vient de se transformer en théâtre de la cruauté. Piratée de l’intérieur par le sphynx méchant de la Nouvelle Vague, l’homme qui recouvre de sa bile les bons sentiments, le génie encore plus génial quand il n’est pas là. Redoutable, oui, c’est le mot.

Rooney Mara et la tarte dans A Ghost Story


L'une des scènes les plus marquantes/bizarres de 2017. Au cœur de ce beau film sur le deuil, l’héroïne mange donc une tarte, seule dans sa cuisine, dans une scène interminable. Ce qui commence par une banale séquence de vie quotidienne devient peu à peu un symbole de vie. Malgré son chagrin, elle se nourrit, se remplissant de tarte jusqu’à étouffer. C’est long, c’est triste et ça marche : le spectateur se retrouve dans le même état nauséeux qu’elle à la fin de la scène. Le plus "wtf" dans cette histoire ? L’actrice Rooney Mara a avoué au réalisateur David Lowery n’avoir jamais mangé de tarte de sa vie avant de tourner cette séquence.

La fin de Mother !


Le dernier film de Darren Aronofsky peut être considéré comme "wtf" dans son ensemble, même si une scène en particulier symbolise bien sa folie. Juste après le tourbillon de violences dont est témoin/victime l’héroïne jouée par Jennifer Lawrence (qui symbolise la mère-nature), elle met au monde son enfant. Son compagnon, le créateur (aka Dieu, dans ce film où tout est allégorique) veut s’en emparer pour le montrer à ses admirateurs. Elle lutte, puis tombe un instant de fatigue. Quand elle rouvre les yeux, son fils est idolâtré par les hommes, qui le portent en triomphe… et le sacrifient avant de le manger. Une scène terrible, pensée comme un électrochoc pour le public, et évidemment sujette à interprétations.

La maquilleuse de Jim & Andy

Capture d'écran Netflix

Jim & Andy, making of de Man on the Moon, est en soi totalement WTF. Où l’on apprend que Jim Carrey se prenait réellement pour Andy Kaufman et qu’il transgressait tous les codes de bonne conduite envers ses partenaires, l’équipe technique, etc. Dans une scène en particulier, le dédoublement est vertigineux : Gerry Becker, qui joue le rôle du père d’Andy Kaufman dans le film, s’engueule avec Jim Carrey qui lui répond comme s’il était Andy ! Le pauvre Gerry fait comme s’il était, malgré lui, le père d’Andy et finit par partir en claquant les talons. Déjà WTF, la scène prend une dimension supplémentaire avec la maquilleuse de Jim Carrey, présente lors du clash, qui éclate en sanglots au motif que l’incident lui rappelait ses rapports avec son propre père. Avec un petit rictus sardonique, Jim Carrey répète (sans avoir l’air d’y croire) “je suis horrible, je suis horrible…”.

La flûte d'Alien : Covenant


"I'll do the fingering..." Quand l'androïde Walter (Michael Fassbender) apprend à l'androïde David (Fassbender aussi) à jouer de la flûte, la performance technique et la beauté de la scène ont été un peu éclipsés par son autohomoérotisme (ça existe forcément), et ses sous-entendus très sexuels, et pas très sous-entendus, en fait. Les internautes se sont beaucoup amusés à rajouter des sons bizarres sur cette scène. Dommage.

Lio dans Stars 80, la suite

Capture d'écran YouTube

Il y a quelque chose de fascinant dans Star 80, la suite : une sorte de surenchère de scènes audacieusement gênantes qui confinent à l’incrédulité du spectateur. Non, ils ne vont pas oser ? Bah, si ! Le punctum arrive quand Lio, pour prouver aux Stars 80 qu’elle en a encore sous le capot, refait la chorée de Flashdance millésimée 1983 (musique, justaucorps noir et saut de l’ange compris). Evidemment, elle ne fait que l’entrée, la suite étant exécuté par une danseuse qui pourrait être la fille de Jennifer Beals, comme nous le suggère un effet de montage qui ferait tourner sept fois de plus sa langue dans sa bouche à l’inventeur de l’expression "magie du cinéma". Ils restent bouche bée, incrédules. Nous aussi.

Le pet de Gangsterdam

StudioCanal

Ruben (Kev Adams), Nora (Manon Azem) et Durex (Côme Levin) se planquent dans un appartement alors que des gangsters armés jusqu'au dents les recherchent. Caché sous un canapé, Durex est atteint de flatulences foudroyantes. Sa vie et celle des autres dépend de sa capacité à se retenir. Un échange de textos avec ses camarades lui permet d'apprendre la "technique" pour expulser en silence… Une scène WTF en diable, dont tout le ressort dramatique repose donc sur la potentialité d'un pet ("La potentialité d'un pet"… on aurait presque aimé que ce soit le titre du film). L'idée est plus forte que l'exécution, mais on appréciera la tentative de renouveler la gestion des problèmes gastriques au cinéma.

Le singe de The Square


Lors d'un dîner dans la salle de réception d'un hôtel chic de Stockholm, les invités assistent à la performance d’un homme-singe. L'acteur sniffe les costumes sur mesure de cette bourgeoisie BCBG, grimpe sur les tables et installe un malaise palpable… jusqu'à ce qu'il pousse la performance un peu trop loin. Cinq minutes de gêne totale et l'acmé d'un film qui ne fera que redescendre par la suite. Mais tout le message de Ruben Östlund est résumé dans cette scène.

Superman dans Star Wars 8

Disney / Lucasfilm

Le vaisseau de la Résistance explose, Leia se retrouve dans le vide spatial. Ses yeux sont fermés, de la glace commence à se former sur sa peau. Va-t-elle mourir ? Est-on en train de dire adieu à Carrie Fisher ? Non ! Soudainement elle se réveille et nous livre un remake light de Superman, en se propulsant dans le vide en utilisant la Force pour la première fois. La scène se veut dramatique mais son atrocité visuelle (on voit presque les fils qui retiennent l'actrice) prête à sourire. Qui a validé un truc pareil ?

Le doigt de Grave


Justine fait ses débuts dans le cannibalisme avec une scène également dégueulasse et hilarante. Alors que sa soeur vient de perdre un doigt et de tomber dans les pommes (forcément, ça surprend), elle dévore avec appétit le bout de mimine au lieu d'appeler les secours pour tenter de le recoudre. "Ça va, c'est juste un doigt", répond-elle à sa frangine quand elles en discutent plus tard. Avec une touche d'humour barré, Julia Ducournau lance la quête de viande fraîche de son héroïne. Et la séquence hantera longtemps les spectateurs, pas vraiment décidés entre exploser de rire ou frissonner.