Première
par Thierry Chèze
Dès le premier plan, on est en terrain connu. Au coeur d’un embouteillage déboule Taupin (Depardieu) poussant un Caddie vide dans lequel il trimballe toute sa vie. Et le voilà rejoint par Foster (Clavier) qui lui rappelle leur mission commune : tuer un homme. Taupin n’a aucune idée de ce dont il parle. Et pour cause : il n’a jamais reçu le scénario qui explique ce qu’ils vont devoir faire, tels des pantins sous l’emprise d’esprits diaboliques. Commence alors un jeu de film dans le film où planent toutes les obsessions de Blier : la mort, les relations hommes-femmes, cet amour des mots... Il y a évidemment du plaisir à retrouver cette voix, absente depuis Le Bruit des glaçons. Mais aussi, très vite, une impression de redite. Un Blier, c’est une mécanique de précision. Or, la fluidité de Buffet froid ou de Trop belle pour toi a ici disparu. Convoi exceptionnel recèle des moments exceptionnels (répliques fulgurantes, poésie bouleversante...), mais son récit souffre de trop de trous d’air, de saynètes qui tombent à plat souvent à cause d’une interprétation maladroite. Car cette langue ne supporte pas le redondant, ne se hurle pas, par exemple quand elle exprime l’agacement. Or seul le duo Clavier-Depardieu la maîtrise sur le bout des doigts. Une fois, deux fois, dix fois, ils maintiennent en vie ce film à l’ambiance mortifère troublante. Comme si les sommets de ce cinéma appartenaient à un temps révolu et qu’on ne pouvait plus désormais que les visiter au lieu de les transcender. Cette limite rend ce Convoi exceptionnel attachant presque malgré lui. On appelle ça l’art du paradoxe.