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Tom McCarthy vient de recevoir une pluie de nominations aux Oscars pour Spotlight. Entretien avec un acteur passé à la réalisation.

On a l'impression dans Spotlight que l'enquête est plus importante que l'objet de cette enquête.
Parler des abus n’était pas nouveau, mais l’ampleur de cette entreprise de dissimulation institutionnelle était inédite. Et la complicité de toutes les institutions à Boston, pas seulement celle de l’Eglise, était encore plus fascinante. Nous avions une bonne raison de raconter cette enquête journalistique.

Pourquoi cet intérêt pour la presse ?
Aujourd’hui, nous avons affaire à une quantité d’institutions variées, la justice, la finance, l’éducation, le divertissement…  Et la presse est en train de disparaître, alors que c’est la seule qui ait la capacité de réguler les autres et de vérifier qu’elles restent dans leur cadre. Peut-être que ce film a été réalisé dix ans trop tard, non pas à cause des évènements dont il parle, mais simplement parce qu’aujourd’hui le journalisme de qualité a disparu. Dans notre pays, il est dramatiquement affaibli et démantelé. Honnêtement, je ne suis pas sûr que le grand public s’en rende compte. Si je devais m’entretenir avec un échantillon de la population sur ce sujet, je ne crois pas qu’ils trouveraient pertinent de s’alarmer. Le problème c’est qu’il appartient aux journalistes de lancer des alertes. Mais comme il n’y en a plus… C’est ce qui a donné au film un sens. Sans compter l’histoire elle-même, avec des enjeux et des personnages captivants.

Vous faites la différence entre la presse et les autres institutions, mais le film montre que la presse elle-même a omis de diffuser l’information quand elle en avait la possibilité.
Malgré notre admiration pour les reporters, il nous a fallu prendre en compte le fait qu’en 97, ils avaient les noms de 20 prêtres, et ils n’ont rien fait. Pourquoi ? Robbie (Walter Robinson, joué par Michael Keaton) n’avait pas de réponse. A cette époque, il était au service metro, c’était son domaine, et il est passé à côté. Tout bon journaliste vit avec la hantise d’avoir laissé passer un sujet, de même qu’un cinéaste se demande pourquoi il n’a pas fait mieux. Nous savons qu’à l’époque, les rédacteurs en chef et les chefs de rubrique du Boston Globe avaient reçu des instructions pour ne pas toucher à l’Eglise catholique. Les reporters n’en sont pas moins des héros. Le système est imparfait, il est humain, mais c’est le meilleur que nous ayons.

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Etant donné l’énormité du sujet et de la somme d’informations disponibles, comment avez-vous procédé ?
Nous nous sommes inspirés des journalistes et de leur approche factuelle, qui consiste à trouver l’histoire, à lui faire confiance et à la laisser opérer. Nous savions qu’il fallait la raconter comme les journalistes la ressentent à mesure qu’ils avancent : ils vont à la pêche sans savoir où ça les mène et progressivement, le sujet commence à devenir passionnant. Mais ce n’est pas un thriller, c’est un drame. Il est parfois lent, parfois tendu, parfois confus. J’ai essayé de trouver le ton juste et de m’y tenir. Il importait de ne pas manipuler le public, d’éviter le sensationnalisme ou le romanesque. Il fallait rester objectifs pour conserver l’incontestable dimension humaine du sujet qui est l’abus systématique et le viol d’enfants. Il fallait aussi l’approcher comme ils l’ont fait, en gardant pour eux leurs sentiments et leurs émotions. Ainsi, ils ont pu mesurer l’énormité du sujet. Comme un médecin qui doit, malgré toute la pression de la vie et de la mort, opérer son patient comme un morceau de viande sur la table d’opération. Il faut un certain degré de détachement. Je voulais que des journalistes voient le film en reconnaissant que c’est comme ça que ça se passe : tous les moments ne sont pas excitants. Les choses ne mènent pas toujours là où on pense. Et par moments, il y a de l’excitation et des frissons. Voilà quelle était notre approche. Sans artifices, avec une qualité working class.

Cette approche vous a-t-elle été inspirée par certains des films (The informant, Les hommes du président, Network) que vous avez montrés à l’équipe ?
Il m’arrive avec mes plus proches collaborateurs de faire référence à certains films ou de leur demander d’en voir, mais ça peut être dangereux et limitatif. Et quoi qu’on fasse pour essayer de s’en démarquer, les films que vous avez mentionnés sont séminaux. Ceux de Sidney Lumet en particulier. J’ai toujours à l’esprit son sens de l’économie, son efficacité avec la caméra, sa précision émotionnelle, sa façon de trouver l’humain dans les moments les plus triviaux. Et c’est ce que nous avons essayé d’obtenir visuellement, en laissant de la place aux acteurs pour donner l’impression d’être dans la même pièce qu’eux. J’ai essayé de ne pas surdiriger, de ne pas tout expliquer. Pas besoin de tout comprendre, il suffit de suivre l’élan de l’enquête. Tant que vous comprenez ce qui se passe émotionnellement et où on va, vous êtes en phase avec le film. Nous avons lutté sans arrêt pour traduire la valeur émotionnelle du sujet et le rendre en même temps cinématique. C’est un combat.

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Ca semble naturel qu’un acteur devienne un bon directeur d’acteur. Mais quelle est votre approche dans le cas d’un film choral comme celui-ci, où chaque personnage a ses particularités ? Jusqu’où restez-vous fidèle au script, et quelle part de liberté leur laissez-vous?
Il s’agissait de gérer cet ensemble et c’est mon job de rester à distance et de faire en sorte que tous aient leur place dans le même espace, sans qu’aucun ne prédomine. Il y a des différences de statut et de participation, mais je peux dire qu’ils ont aimé en faire partie. On sent quand un ensemble clique – même si on n’est pas à l’abri des conflits d’ego. Mais j’ai eu de la chance, ils sont très expérimentés. Ils sont arrivés sur le plateau avec des personnages complètement formés et on ne sent jamais l'effort sur l’écran. Rachel excelle à vous aspirer dans la scène tout en restant silencieuse et à l’écoute. Vous pouvez la voir en train de mesurer la température et c’est ce que font les bons journalistes. On n’obtient pas de bons résultats seulement par de bonnes conversations, il y a aussi beaucoup d’observation et d’attente. Elle y réussit bien, et je crois que ça vient en partie de ses rencontres avec la vraie Sacha Pfeiffer. La façon dont elle l'incarne est incroyablement précise. Liev (Schreiber) est très bon pour parler, on voit ses rouages tourner. Mais à la différence de Mark (Ruffalo), chez qui tout se voit physiquement, Liev n’a pas besoin d’en faire beaucoup. Il est comme un requin dans sa quête absolue du résultat. Mais il ne fait que reproduire la réalité : Marty Baron (son personnage) était comme ça. Un de ses rédacteurs en chef décrivait son approche comme étant « la quête sans joie de l’excellence ». Il ne pensait qu’au travail, tout le reste était obstacle. C’est une personne formidable, comme Liev.

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Comment êtes-vous arrivé à la réalisation ?
J’ai pris le train en marche. J’ai suivi une formation d’acteur, j’ai pratiqué pendant longtemps, et c’est au théâtre que j’ai commencé à toucher à la mise en scène. Ca m’a plu, notamment le travail avec les acteurs. Ensuite, j’ai écrit mon premier film, The station Agent, et de là, j’ai complètement changé de trajectoire. En même temps, j’ai eu la chance de pouvoir continuer à jouer avec des réalisateurs très doués. J’ai donc connu les deux côtés, j’ai donné et reçu des instructions, et pris conscience de ce qui est important pour un acteur.

Vous tournez beaucoup, ou vous êtes comme Clint Eastwood qui aime aller vite et parfois enregistre les répétitions ?
J’ai travaillé avec lui (dans Mémoires de nos pères), c’est terrifiant ! Surtout pour le directeur de la photo qui supplie qu’on lui donne une autre chance. Je ne tourne pas comme lui, mais je ne suis pas complaisant non plus, je n’en ai pas le temps. Je tournerai jusqu’à ce que la prise soit bonne, mais si ça ne prend qu’une ou deux prises, tant mieux. S’il en faut 7, j’irai jusque là. Dans ce film, nous avions beaucoup de plans-séquences. On ne se couvrait pas beaucoup, donc je devais faire en sorte qu’on ait bien tout. C’était très excitant. C’est un choix. On suit les gens dans des salles de rédaction à l’oreille, et il faut voir le monde autour de leur point de vue. C’était la première fois que je travaillais avec Takanagi, le DP, mais il a compris très vite ce que nous recherchions, ce qu’on avait besoin de voir, et ce qu’il ne fallait pas montrer. Il connaît Boston mieux que quiconque.

Spotlight de Tom McCarthy avec Michael Keaton, Mark Ruffalo, Rachel McAdams, Liev Schreiber... sort le 27 janvier dans les salles :


Cet article est sponsorisé par Warner Bros.