Il n'apparait qu'une poignée de minutes dans Le Dernier jour d'Yitzhak Rabin, mais Tomer Sisley a peut-être trouvé chez Amos Gitaï son plus grand rôle. Rencontre
On le voit à tout casser quinze minutes dans Le Dernier jour d’Yitzhak Rabin. Mais, en chauffeur paniqué du Premier ministre assassiné, il laisse une impression indélébile. Et si l’interprète de Largo Winch avait non seulement trouvé son plus grand rôle, mais aussi la justification de son métier, sous la caméra de l’Israélien Amos Gitaï ?
Voilà, on se rencontre pour parler de votre poignée de minutes dans Le Dernier jour d’Yithzak Rabin : les scènes très rapides de votre affolement au moment du crime, et vos gros plans durant l’interrogatoire mené par la Commission d’enquête…
Oui. Quand on m’a dit que vous vouliez m’interviewer, j’ai été extrêmement surpris, et en même temps, ça m’a fait un plaisir dingue. On me voit presque autant dans la bande-annonce que dans le film lui-même !
Vous comprenez qu’il nous ait fallu consulter le dossier de presse du film pour être certain que c’était bien vous ?
Ça ne m’étonne pas du tout. C’est la première fois qu’on me voit au cinéma avec les cheveux courts, je parle hébreu, je suis filmé par un très grand cinéaste…
C’est beaucoup plus que ça. Vous dégagez une intensité, une gravité et une présence qui semblent davantage vous métamorphoser que n’importe quel effet spécial.
Le personnage que j’interprète a vraiment existé, il est d’ailleurs toujours vivant, et il n’a strictement rien à voir avec les héros et les mecs entreprenants que j’ai toujours joués jusque-là. Lui, c’est au contraire un homme complètement perdu, hébété par ce qu’il a vu, traumatisé par son comportement au moment des faits, déchiré à l’idée de ce qu’il aurait pu ou dû faire. Du coup, les enjeux de ses actes comme de ses paroles ont exigé de ma part une implication, une concentration dont je me suis senti habité aussi bien physiquement qu’au niveau de ma conscience. Je ne me rends pas bien compte de l’impact que ça a pu avoir son mon « image », mais je prends ce que vous dites comme un compliment qui n’est pas loin de m’intimider.
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Comment avez-vous travaillé sur votre corps, sur vos émotions ?
C’est simplement le fruit de deux décennies de travail, de toutes mes années de formation, de mon apprentissage à l’Actors’ Studio. J’ai vu quelques vidéos de cet homme, je ne l’ai jamais rencontré, mais je me suis senti en empathie absolue avec sa peur, avec son sentiment de culpabilité. En tant que chauffeur d’Yitzhak Rabin, son devoir était de le conduire le plus rapidement possible d’un point A à un point B, tout en obéissant aux ordres de sa hiérarchie. Or le soir de l’attentat, aucun itinéraire sécurisé n’avait été prévu entre le lieu de la manifestation et l’hôpital de Tel Aviv : les rues étaient bondées, les embouteillages ralentissaient les voitures, et il lui a fallu se débrouiller avec ça tout en attendant des instructions qui ont mis en temps fou à venir. Résultat, il lui a fallu vingt minutes au lieu de trois pour que Rabin soit confié au service des urgences. Objectivement, il n’avait rien à se reprocher, mais il se sentait quand même responsable. Et devant la Commission d’enquête, bien que personne ne l’ait accusé de quoi que ce soit, il s’est montré aussi désemparé qu’un enfant persuadé d’avoir fait une énorme bêtise malgré lui.
Comment vous êtes-vous retrouvé devant la caméra d’Amos Gitai ?
C’est grâce à mon agent, Camille Trumer. Il est allé le voir, il lui a dit qu’il connaissait un acteur français qui parlait couramment hébreu, et j’ai été engagé. Amos ne savait pas qui j’étais, et il n’avait vu aucun de mes films. Le truc, c’est que si l’hébreu est ma langue maternelle avec l’allemand et que je le parle comme le français, je n’ai jamais été capable de le lire dans le texte. Et quand je l’ai dit à Amos lorsqu’il m’a remis mon texte à quelques jours du tournage, il a failli s’arracher les cheveux. Mais je lui ai demandé de me faire confiance : on m’a traduit les dialogues en phonétique occidentale, et comme je les comprenais parfaitement, je n’ai eu aucun mal à les mémoriser, puis à les jouer.
Comment s’est déroulé le tournage de vos scènes ?
Très rapidement : en trois prises étalées sur une journée, ou peut-être deux. Mais j’ai été très marqué par l’ambiance du plateau. Entre mes origines juives israéliennes, allemandes et ma culture française, je ne me suis jamais vraiment senti nulle part chez moi, et c’est toujours le cas aujourd’hui. Sur le tournage, je parlais en hébreu avec tout le monde sans le moindre souci d’ordre linguistique, mais quand la conversation tournait autour des films ou des chanteurs à succès israéliens, je me retrouvais complètement largué, et je me contentais d’observer, sans y participer, la complicité ambiante. C’était mes racines, ça devait être ma culture, et puis non : aucun titre, aucune mélodie ne me « parlait ».
Que représente pour vous le fait d’avoir participé au Dernier jour d’Yitzhak Rabin ?
J’ai toujours eu la conviction d’être davantage fait pour jouer du Shakespeare que me produire en stand-up ou dans des films d’action. Mais je n’ai semble-t-il pas réussi à rendre cette intuition crédible ou « commerciale ». Alors je vous le dis tout net : c’est la première fois que j’ai eu le sentiment d’exercer mon métier d’acteur.
Le Dernier jour d’Yitzhak Rabin est actuellement dans les salles.
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