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Un film politique n’est pas forcément une « gifle » ultra-réaliste ou une dissertation « nécessaire » sur un sujet d’actualité. Miguel Gomes le sait bien, qui fuit à toutes jambes ce brouhaha trop naturaliste à son goût, ou au contraire trop théorique (« l’abstraction me donne le vertige », dira-t-il lui-même dans une mise en abîme pleine d’auto-dérision), pour se réfugier dans le romanesque le plus baroque. Mais sans se boucher les oreilles pour autant : le réalisateur de Tabou a beau épouser ici la structure gigogne du célèbre conte oriental dans un rutilant écrin coloré (nuée de néons captées par le chef op’ de Apichatpong Weerasethakul), sa Shéhérazade n’affabule pas complètement. Au contraire, elle butine généreusement l’époque, le micro et le macro s’embrassent à l’écran tout comme la fiction et le documentaire, passant de faits divers cocasses relevés dans la petite ville de Resende (un coq jugé trop matinal au cœur d’un procès, les « flammes de jalousie » d’une amoureuse pyromane) à la crise économique en Europe (bouleversants témoignages de chômeurs, hilarante parabole sur l’austérité avec le Viagra comme possible « plan de redressement »). Parfois, le son se dérègle ou ne correspond plus à l’image. On voit par exemple un chantier naval menacé tandis que la voix-off s’alarme d’une invasion de guêpes, et inversement. Pourtant, pas de cacophonie : le cinéaste portugais est passé maître dans l’art de la correspondance baudelairienne. Ses associations d’idées poétiques et politiques font de ses inquiétudes un spectacle flamboyant.Eric VernayLes Mille et une nuits de Miguel Gomes était présenté à la Quinzaine des réalisateurs. Le 1er Volume, "L'Inquiet", sortira en salles le 24 juin 2015.