Jurassic Park revient ce soir sur TMC.
En 1993, Steven Spielberg vient à peine de finir Jurassic Park qu'il enchaîne avec La Liste de Schindler. C'est à Cracovie, alors qu'il tourne son futur chef-d'oeuvre aux sept Oscars, que François Forestier, à l'époque journaliste du magazine Première, rencontre le cinéaste "décontracté et grave". Pour lui parler de dinosaures, mais pas seulement. Attention, interview collector.
40 ans de blockbusters hollywoodiens : Jurassic Park (1993)Alors, Jurassic Park ?
Steven Spielberg : Une seconde. Je suis en train de tourner La Liste de Schindler. Le soir, je travaille encore sur les trucages de Jurassic Park, mais, pour moi, c’est terminé.
Vous n’allez pas donner d’interviews sur les dinosaures ?
S.S. Le moins possible. C’est un film qui va très bien se débrouiller sans qu’on l’aide. Parlons de Schindler.
D’accord, être à Auschwitz, où une partie de votre famille a disparu, doit éveiller de sombres souvenirs…
S.S. C’est en effet très douloureux. Revenir sur ces événements qui ont eu lieu il y a cinquante ans, c’est très proche, un battement de cœur, c’est dur. Le plus incroyable, c’est que je me suis aperçu que, même parmi les gens qui composent mon équipe technique sur La Liste de Schindler, il y en a beaucoup qui ignorent les faits historiques de l’Holocauste.
Votre premier contact avec l’Holocauste, ce fut à travers les tatouages de vos proches...
S.S. Oui, ces chiffres tatoués sur le bras... J’avais trois ans, et je lisais ces chiffres. Les gens qui se rassemblaient chez moi étaient des survivants : ils venaient prendre des leçons d’anglais, que ma grand-mère enseignait. Ma mère est née aux Etats-Unis, et mes grands-parents viennent de Russie et d’Autriche. Moi, je suis né après la guerre. Ma souffrance, quand je suis confronté à la douleur que ces gens ont éprouvée, ce n’est rien. Rien.
Que pense votre famille de Schindler ?
S.S. Ma mère est fière, elle est tellement fière... Elle m’a dit : « Enfin ! Un film que je pourrais voir.» Le dernier, c’était E.T.
Elle n’a pas été voir Jurassic Park ?
S.S. Pas encore.
Comment les dinosaures sont-ils entrés dans votre vie ?
S.S. Ha ha ! J’ai toujours plusieurs projets en cours. Un jour, je travaillais avec Michael Crichton sur l'un d’eux, et je lui ai demandé s’il bricolait quelque chose d’autre. Il m’a dit qu’il venait de terminer un livre sur les dinosaures. Je lui ai demandé de quoi il s’agissait. Il m’a dit : « Les dinosaures reviennent ». C’était un bon début.
Le livre a-t-il été difficile à adapter ?
S.S. Le problème est qu’il y a beaucoup trop de choses dans ce livre. Surtout trop de dinosaures. Il fallait simplifier, il fallait écarter quelques dinosaures, il fallait se décider sur les lignes de force. En plus, il fallait rendre les dinosaures crédibles. Si vous n’y croyez pas, il n’y a pas de film, hein?
J’imagine que vous avez commencé par faire un story-board.
S.S. Oui. Sans ça, impossible de travailler. Chaque plan devait être défini. Deux ans avant le premier tour de manivelle, tout était dessiné sur le papier. C’était du travail de précision. Je voulais, ça va vous faire rire, un film réaliste.
Hook n’a pas été tout à fait le succès que vous escomptiez.
S.S. C’est vrai, la critique américaine a été très dure. Je ne dis pas que c’est un film parfait, et il y a sans doute un manque d’équilibre entre le début et le reste du film, mais c’est un film que j’aime. Je ne pense pas qu’il méritait cet accueil.
On dit de vous que vous êtes un prince à la poursuite du bonheur.
S.S. C’est une image fausse. Etre heureux, c’est facile pour moi. Mon problème, c’est de toucher un sujet comme celui-ci, où mon bonheur habituel serait émietté. En fait, je voulais faire La Liste de Schindler d’abord, et Jurassic Park ensuite. J’ai été obligé d’inverser l'ordre de production, pour des raisons pratiques. Il nous a fallu deux ans pour préparer Jurassic Park, et attendre encore un an aurait coûté très cher.
Pourquoi ?
S.S. Parce que nous avions déjà vingt-quatre mois de travail dessus, et je ne voulais pas que le budget soit colossal. C’est d’ailleurs une des raisons qui m’ont conduit à me passer de stars. Je préférais mettre l’argent dans les postes importants, c’est-à-dire tous ceux qui pouvaient contribuer à rendre les dinosaures crédibles. Il fallait que les gens se disent : ça peut arriver. C’est en train d’arriver.
Vous êtes-vous inspiré d’autres films ?
S.S. Bien sûr, j’ai vu King Kong et tous les classiques.
On pense quand même beaucoup aux Dents de la mer...
S.S. il y a de ça... Avec un doigt de ci, un zeste de ça. L’idée centrale, c’est qu’il ne faut pas jouer avec la nature. Et ça, le film qui l’a le mieux exprimé, c’est Hatari, d'Howard Hawks.
Vous revenez toujours aux auteurs classiques.
S.S. Oui, c’est vrai. Hawks, John Ford, Michael Curtiz surtout, que j’admire beaucoup.
Pour Schindler, quelles ont été vos sources d’inspirations ?
S.S. J’ai revu Korczak, de Wajda, très authentique. Et Seven beauties, de Wertmüller.
Hollywood a toujours eu une vision romanesque des nazis. C’est curieux qu’un enfant d’Hollywood s’attaque à ce cliché pour le détruire...
S.S. Dans les années quarante et cinquante, c’était le syndrome Conrad Veidt. Les nazis étaient des monstres très pratiques.
Les requins, les extraterrestres, les dinosaures. Les monstres...
S.S. Je vous vois venir. Non, je ne suis pas fasciné par les monstres, je suis fasciné par le comportement des gens face à ceux qu’ils considèrent comme des monstres. Dans Duel, ce n’est pas le camion qui est important, c’est la réaction de l’automobiliste. Et, dans Jurassic Park, les dinosaures ne sont pas tous des monstres. Il y en a de gentils, il y en a de méchants. Ce sont des animaux. Il y en a même qui sont un tantinet humains...
Un best-seller et un film « à message » dans la même année...
S.S. On me prend souvent pour une machine à sous. Mais je ne tourne que les projets qui m’intéressent. Jurassic Park m’a passionné. La Liste de Schindler me passionne. Pour d’autres raisons, bien sûr. Pourtant, c’est le même Spielberg...
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