Première
par Frédéric Foubert
Un garçon et une fille qui s’embrassent avant de dégainer leurs flingues, un braquage qui tourne mal, l’assaut de la planque des bandits par les forces de l’ordre... En quelques minutes et une poignée de scènes fulgurantes, le réalisateur David Lowery expédie dans l’intro des Amants du Texas toute une mythologie à la Bonnie and Clyde. Comme s’il avait décidé de passer en revue, à toute allure, un pan entier de mémoire cinéphilique, des dizaines de love stories criminelles où des voyous beaux comme des dieux vivent vite et meurent jeunes, les armes à la main. C’est bien sûr une manière de dire qu’il connaît ses classiques (Bonnie and Clyde, donc, sans oublier La Balade sauvage, Les Amants de la nuit, Gun Crazy…), mais aussi, surtout, de préciser que ce n’est pas tant la violence hagarde et le romantisme adolescent qui l’intéressent ici que l’envie de pousser le genre dans ses retranchements. Que se passe-t-il après ? Qu’arrive-t-il quand la vie offre un sursis aux amants maudits ? Quand l’illusion de l’amour fou est confrontée à l’épreuve du temps ? Lowery a pensé son film comme on écrit un post-scriptum, comme on rédige un épilogue à la légende. Et a bâti autour de ces questions d’apparence très théoriques un récit léger comme une plume, une fable somnambule infusée de poésie country immémoriale. Bob (Casey Affleck) s’évade de prison, court le long des routes du Sud, comme Redford dans La Poursuite impitoyable. La communauté (femme, flics, amis, ennemis, mentor) espère et redoute son retour. On pressent que l’issue sera tragique et il ne reste alors plus au spectateur qu’à faire la même chose que les personnages : retenir son souffle. Presque entièrement composé de moments de creux et de latence, de béances et d’ellipses narratives, Les Amants du Texas est le genre de film qui semble passer en un clin d’oeil et que l’on suit bouche bée et gorge nouée, sans jamais pouvoir détourner le regard de l’écran. La musique et la photo, absolument renversantes, le montage hypnotique, la qualité littéraire inouïe des dialogues... toutes les pièces du puzzle s’harmonisent pour composer un poème filmique en apesanteur. On pense à Malick, souvent, et pas seulement parce que Lowery fi lme très bien les champs de blé dans le soleil couchant. Comme le génie texan, il cherche lui aussi à infléchir le cours du temps, à saisir toutes les nuances de l’amour, la beauté unique d’une caresse ou d’une carnation, la stupeur sans cesse renouvelée qu’il y a à être au monde. Les Amants du Texas n’est pas un chef-d’oeuvre, non. C’est autre chose, sans doute beaucoup plus que ça : un « grand petit film » qui menace à chaque instant de vous briser le coeur.