Pour son troisième long métrage en vingt-deux ans (!), Emmanuelle Cuau élabore encore un engrenage implacable. Comme dans l’excellent Très bien, merci avec Gilbert Melki (qu’on retrouve ici dans un petit rôle glaçant), le personnage principal de Pris de court subit au départ une violence sociale tristement banale : Nathalie (impeccable Virginie Efira, qui ressemble de plus en plus à Gena Rowlands) perd son emploi dans une bijouterie. La jeune veuve tout juste débarquée à Paris décide de cacher la nouvelle à ses deux enfants. Le temps de se relancer. Mais ce mensonge initial, telle une patte d’insecte dans une toile d’araignée, enclenche une mécanique d’étau. Et la chronique familiale de se muer en thriller. Son refus du spectaculaire s’avère payant – il suffit parfois d’un scooter au second plan puis d’un bruit de moteur pour sécréter l’angoisse, par la grâce du hors-champ. En élève de Robert Bresson, la cinéaste croit à la richesse du dépouillement. Retrancher pour épurer. En même temps, c’est le paradoxe du film, cette limpidité de façade fonctionne comme un trompe-l’oeil : c’est le terreau fertile d’un jeu d’ellipses et de non-dits. Au lieu d’assécher les personnages, l’approche minimaliste de Cuau leur insuffle mystère et complexité. Ainsi, les secrets qui s’accumulent autour de Nathalie sont comme autant de bombes planquées entre chaque scène, chaque fondu au noir, prêts à exploser sous une forme imprévisible dans le plan suivant. Et qu’il s’agit de désamorcer. C’est brillant.