Première
par Frédéric Foubert
POUR (4 étoiles)
En 1971, avec Macadam à deux voies, Monte Hellman actait de la fin du mythe hippie et de ses illusions, avec un film quasi mutique, peuplé d’êtres-fantômes aussi mécaniques dans leurs gestes que les bolides qu’ils conduisaient. Hellman refusait surtout tout dynamisme narratif pour mieux cramer son film de l’intérieur. The Bikeriders de Jeff Nichols, inspiré d’un livre de photographies culte de Danny Lyon sur un gang de motards dans les sixties, lui ressemble. Il partage cette auscultation jusqu’à l’absurde, du rapport sensuel et monstrueux du héros américain avec sa monture. Au bout de la route, le vide. « Pourquoi t’es là ? », « Pour rien ! » répond, amorphe, un des motards de The Bikeriders. D’autres consteront déçus que tout ce qu’ils croyaient posséder (habits, véhicules, amitiés…) ne leur a jamais vraiment appartenu. On dira donc que la déception de façade que produit de prime abord le film de Nichols est consubstantielle à sa nature même. Telles une succession de prises photographiques, les séquences possèdent leur monde à eux, presque autonomes. Leur interaction dépend des êtres abîmés qui les peuplent s’évertuant à donner un sens à une existence d’outlaw déconnecté du réel. En cela le film, furieusement lucide dans sa beauté tragique, déjoue le côté fresque qu’il semblait annoncer (l’hommage appuyé aux Affranchis) Le verni sexy (cuir, stars et bastons…) s’écaille. On repense à cette formidable scène où Benny (Austin Butler parfait) reste toute la nuit sur le cuir de sa bécane attendant sans émotion apparente que sa belle l’accompagne sur le bitume. L’aventure immobile est tout juste réveillée par le ronronnement à venir d’un moteur. L’Amérique selon Nichols pétrie d’inquiétudes et d’espérances n’a jamais paru aussi désabusée. En attendant, on peut toujours se raconter des histoires.
Thomas Baurez
CONTRE (2 étoiles)
La culture biker a ses totems (L’Equipée sauvage, Easy Rider…) et ses diamants noirs (Scorpio Rising), mais il lui a toujours manqué son grand et indiscutable chef-d’œuvre ciné. Ce ne sera pas pour cette fois, mais Jeff Nichols, au moins, aura essayé. Tout au long de The Bikeriders, on le voit courir après son fantasme de grand roman américain de la rébellion motorisée. Le problème est qu’il n’a pas réussi à choisir quel film il voulait faire. Il tergiverse, passe d’une proposition à l’autre, hésite entre l’exploration scorsesienne d’un inframonde ritualisé, et un fétichisme postmoderne hérité de The Loveless de Kathryn Bigelow, où les bikers ressemblaient plus à des projections fantasmatiques qu’à des êtres de chair et de sang. Il entend aussi raconter comment Danny Lyon (joué par Mike Faist) a composé le livre de photos légendaire qui donne son titre au film – belle idée, mais qui reste à l’état d’ébauche. Les emprunts aux Affranchis (arrêt sur image avant explosion de violence, voix off, rembobinage de l’action) font terriblement clichés, quand les scènes d’interview de Jodie Comer par Mike Faist frôlent le comique involontaire – elle est interrogée dans toutes les situations domestiques imaginables, à la laverie, en train de repasser le linge, faisant frire des œufs, etc. Le film ne marche vraiment que sur son versant portrait de groupe, chronique laid-back engourdie, zappant joliment d’un personnage secondaire à l’autre, offrant à chacun (Michael Shannon, Norman Reedus…) sa scène, son moment. Mais ces instants épars ne s’agrègent jamais en un tout cohérent. C’est très mou, trop sage. Quand Kathy (Comer) raconte sa première chevauchée extatique à l’arrière de la moto de Benny (Austin Butler), on est obligé de la croire sur parole – on ne le ressent pas. Les « Affranchis du film de bikers » reste à faire.
Frédéric Foubert