- Fluctuat
Johnnie To, cinéaste essentiellement formel ? Pas si simple. Dans P.T.U., son dernier film sorti en France, l'intrigue est certes réduite au minimum. Mais la succession des lignes graphiques et narratives, époustouflante, finit par tisser un dense réseau de corps et d'interactions humaines.
Dans la filmographie hétéroclite de Johnnie To, P.T.U. se situe dans la famille de The Mission, celle du chef d'oeuvre purement stylistique. En effet, tout P.T.U. semble tourner autour du vide, n'être qu'incessants panoramiques urbains dans lesquels To distribuerait quelques figures autour d'une histoire absente et dilatée. C'est ce qui fait sa beauté, toute sa splendeur nocturne. Chaque figure, chaque corps dans P.T.U. semble être en attente, en pose et en pause, dans une sorte de ralenti interminable qui aurait la nuit comme épicentre et périphérie.Mais P.T.U. est encore beaucoup plus que ça. Johnnie To y radicalise son obsession de la ligne, sa fascination pour les constructions géométriques. Chaque plan de P.T.U. est une invitation au travelling, il n'est même que travelling, film de mouvements et de répétitions latérales dans lesquels la fiction vient plier les lignes du cadre pour engendrer des bifurcations narratives minimales. Toute la fiction ne tient alors qu'à ce jeu de construction. Lorsque Simon Yam décide que son escouade de policiers tentera de retrouver l'arme perdue par Lam Suet (acteur fétiche) afin de le couvrir, s'enclenche le jeu de piste du scénario. Un jeu qui n'est que schéma, support très accessoire au plaisir constant de tracer lignes et perspectives de cinéma. Sublimation du plan, fantasmes architecturaux : l'homme et/dans la cité.Interdépendance des corps et de l'être
Dans P.T.U. les agencements évoluent autour d'un objet, d'une arme, d'un téléphone portable, ils sont à eux seuls les substituts de la fiction, ce qui crée un réseau. De chaque côté du réseau les corps se rencontrent, se frôlent, ils interagissent et lentement, avec une temporisation pointant jusqu'à l'ivresse narcotique, finissent par dresser un plan, une configuration, une carte. P.T.U. n'est pas un film de récit mais une épreuve (essai, travail) stylistique zébrée de fiction. Il faut le voir comme une succession de gestes portés par une logique quasi calligraphique. En dessinant ses lignes au fur et à mesure de son déroulement, P.T.U. finit par les réunir pour leur conférer un but. Un but d'abord soumis à l'idée du hasard - glisser sur une peau de banane aura réuni chacun des protagonistes et résolu plus d'une affaire -, pour finalement le conjurer - le hasard porteur de sens n'est plus le hasard. P.T.U. crée ainsi du sens à partir des tracés, du plan et du travelling, pour s'ouvrir jusqu'à des hauteurs métaphysiques.A l'image de The Mission, P.T.U. montre aussi comment la ligne (plans, cadres et montage) et le point (corps, personnage) créent le tissu relationnel. Dans les films de Johnnie To, on n'est jamais seul, l'autre est toujours dépendant de l'un (une des plus belles scènes du cinéma : Andy Lau empruntant l'oreillette du walkman de Yoyo Mung dans le bus de Running Out of Time). Cette interdépendance des corps et de l'être dénote un des aspects les plus importants du cinéma de To : la permanence du groupe, du collectif, à la fois chaîne et maille de tous les mobiles existentiels. Dans P.T.U. cette logique de l'interdépendance est portée au paroxysme : chaque fil tenu par les personnages tient aux autres et se dénoue dans le sublime final du film. Avec ses panoramiques urbains hypnotiques (véritables distorsions sidérantes et sidérales de l'espace de Hong Kong), P.T.U. est le film le plus radical, épuré, contemplatif et maniéré de Johnnie To. Son oeuvre à la fois la plus simple et la plus exigeante.P.T.U.
Un film de Johnnie To
Hong Kong, 2003
Durée : 1h28
Avec : Simon Yam, Lam Suet, Maggie Siu, Ruby Wong
Sortie salles France : 5 octobre 2005[Illustrations : P.T.U. Photos © Pathé Distribution]
- Lire la chronique de The Mission (Johnnie To, 2001)
- Lire la chronique de Breaking News (Johnnie To, 2004)
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