Première
par Sylvestre Picard
Qui aurait parié que Kenneth Branagh se serait réinventé en cinéaste grâce à une franchise ? En l'occurrence, et vous l'avez deviné, on ne parle pas du premier Thor (quoique le film vieillisse plutôt bien pour un MCU, mais c'est un autre sujet), mais bien des films Hercule Poirot d'après Agatha Chrtistie. Après Le Crime de l'Orient Express trop programmatique pour convaincre, Branagh réussissait à faire de Mort sur le Nil une réjouissante murder party sur fond vert, où une galaxie de guest stars s'entretuait en huis clos. Mais la plus grosse surprise, c'était quand Mort sur le Nil faisait de Poirot une vraie figure tragique dans une conclusion d'une noirceur et d'une émotion surprenante. Voilà, Branagh avait un personnage, et donc une idée de cinéma. C'est là que Mystère à Venise commence. Nous sommes en 1947, et Poirot, traumatisé par la dernière guerre mondiale, prend sa retraite à Venise, protégé par un ex-flic devenu son garde du corps. Une amie autrice de best-sellers policiers va le tirer de son refuge en lui demandant d'assister à une séance de spiritisme dans un palazzo délabré le soir d'Halloween, et, ma foi, vous savez sans doute ce que ça signifie ? Huis clos, stars, drame. On connaît la chanson, et on la suit avec plaisir.
Mais là, les fonds verts de Mort sur le Nil font place à un vrai décor : celui d'un palais fantômatique que Branagh shoote sous tous les angles -les plus tordus possibles- sans avoir recours à des chichis comme une caméra numérique. Mystère à Venise ressemble ainsi plus à un hommage au cinéma d'horreur, aux giallos d'antan qu'aux Poirot seventies avec Peter Ustinov. Par exemple, la compositrice Hildur Guðnadóttir (Joker) remplace le fidèle Patrick Doyle, et l'enquête de Poirot se fait aux sons de cordes tordues plutôt qu'à une orchestration classique -et en parlant de classiques, Branagh semble avoir préféré revoir Ne vous retournez pas de Nick Roeg que Mort à Venise en préparant son film : Mystère à Venise explore les traumas de ses personnages, tous cassés à des degrés divers et coincés dans les murs de leurs cauchemars. Oui, le casting s'amuse beaucoup, mais la partition est bien sombre -ce qui fait de lui le meilleur des trois films, et de loin.