Hommage appuyé au cinéma de George Méliès, Hugo Cabret, diffusé ce dimanche sur Arte, est sans doute l'une des œuvres les plus cinéphiles de la filmographie de Martin Scorsese.
Peu de cinéastes sont aussi naturellement associés au terme de cinéphilie que Martin Scorsese. De ses interviews à ses rétrospectives, en passant par son œuvre pour la préservation et la restauration des films perdus et/ou oubliés, le réalisateur new-yorkais est une mine de connaissance sur le septième art qu'il ne se lasse jamais d'évoquer. Quoi de plus normal donc que de le retrouver aux commandes de ce très cinéphile Hugo Cabret, diffusé ce soir sur France 3 et évoquant les films d'un des premiers grands cinéastes de l'imaginaire, Georges Méliès.
Premier film pour au profil plus enfantin de la filmographie de Marty, Hugo Cabret est l'adaptation d'un best-seller de librairie, L'invention d'Hugo Cabret de Brian Selznick, publié en 2007. Remodelé pour le grand écran par John Logan (à qui l'on doit les scripts de Gladiator, Aviator, Skyfall et Spectre), le film donne au jeune apprenti horloger idéaliste les traits d'Asa Butterfield et ceux du grand Méliès à Ben Kingsley. Mais au-delà de cela, c'est à un hommage au cinéma en général que se livre Scorsese dans ce film.
L'ombre de Georges Méliès
Tout comme le livre de Selznick, dont le grand-père était au passage le cousin du légendaire producteur David O. Selznick (Autant en emporte le vent, Rebecca, Une étoile est née...), le film est une véritable ode au cinéma magique de Méliès. Une façon de rendre hommage à son œuvre, dont son légendaire Voyage dans la Lune, mais aussi de rappeler le destin plus triste de l'homme, qui finit sa vie ruiné, à vivre comme vendeur à la gare Montparnasse avant d'être redécouvert par les surréalistes.
Une façon pour le réalisateur de rendre hommage à un des pionniers du cinéma de façon aussi personnelle que méticuleuse, comme il s'en expliquait au Figaro en 2011 : "Son œuvre me touche aussi particulièrement parce qu'elle est liée à l'esprit d'enfance. Les personnages de ses films sont pareils à des figurines de la fin du XIXème . Elles ont une sorte d'innocence, de naïveté, comme si elles jaillissaient d'un dessin d'enfant. Dans Hugo Cabret, nous avons recréé avec exactitude les coulisses d'un tournage de Méliès. On a reproduit à l'identique son studio de verre à Montreuil, dans les studios de Shepertton en Angleterre. Et il nous a fallu un an pour reconstituer une scène du Royaume des fées datant de 1903".
L'oeuvre de Méliès étant tombée depuis 2009 (soixante-dix ans après la mort du cinéaste) dans le domaine public, bien qu'un copyright ait été restauré en 2011 pour la colorisation du Voyage dans la Lune, de nombreux extraits des œuvres de Méliès peuvent être aperçus dans le film : Illusions fantasmagoriques, L'homme à la tête en caoutchouc, Les 400 farces du diable... Avec ses couleurs chaudes et ses péripéties, Hugo Cabret capte une partie de l'esprit du cinéma, fondamentalement ancré dans l'imaginaire, de Georges Méliès.
Mais surtout, Scorsese parvient à faire revivre le fantôme de Méliès sous les traits de Ben Kingsley, confondant de ressemblance avec son modèle. Pour se plonger dans sa peau, l'acteur confia dans une interview au site Examiner que Scorsese lui avait préparé à l'époque un DVD de quatre-vingt-dix films de Méliès. Une préparation rigoureuse qui l'amena à faire corps avec le personnage : "Dans ces moments où, il faut que vous le compreniez, presque tout lui avait été pris, c'était comme si tout m'avait été pris aussi. Je le ressentais. Dans ma vie, je pouvais ressentir ce puits sans fond qu'était cette perte. Je ne pouvais pas sentimentaliser Méliès".
Scorsese à travers le cinéma d'une époque
Mais plus que le cas de Méliès, c'est au cinéma muet et jusqu'à celui des années 30 dans lesquelles se déroule le film que Scorsese rend hommage. Par le sens de la référence dans un premier temps, le film s'amusant à semer tout son long des affiches ou des extraits de classiques du septième art comme ceux des frères Lumière (L'arrivée d'un train en gare de La Ciotat) Louis Feuillade (Fantômas, Judex), Allan Dwan (Robin des bois), Charlie Chaplin (Le Kid) ou Buster Keaton (L'opérateur, Le mécano de la Générale). Quant à la fameuse scène de la grande horloge (qui orne une des affiches du film), il faut y voir un clin d'oeil à Monte là-dessus !, le classique du burlesque et film le plus célèbre d'Harold Lloyd.
Plus généralement, ce film d'époque se consacre aussi à faire revivre l'esprit du début du XXème siècle en France. On y croise entre autres des apparitions fugaces de grands artistes de l'époque comme le jazzman Django Reinhardt, l'écrivain James Joyce ou encore le peintre et cinéaste Salvador Dali. L'automate du film est d'ailleurs lui aussi inspiré d'une véritable œuvre d'art, l'automate de Maillardet, du nom de l'horloger suisse Henri Maillardet, aujourd'hui exposé au Franklin Institute à Philadelphie.
Petite coquetterie cinéphile en sus, Scorsese se permet même de glisser dans son film des références à des films postérieurs à l'année 1931 au cours duquel se déroule l'intrigue. La scène du train entrant en gare est ainsi un hommage à La bête humaine de Jean Renoir, sorti en salles sept ans plus tard, et au cours de la scène de poursuite finale, l'un des plans dans l'escalier en forme de spirale est une citation quasi directe de Sueurs froides d'Alfred Hitchcock, sorti en 1958 ! Il y a même un bref caméo de Scorsese à l'image (on vous laisse le deviner), qui est quant à lui inspiré par l'affiche d'un film, La boîte magique des frères Roy et John Boulting, qui date de 1951.
Un film entre passé et présent du cinéma
Pour mettre en images son Hugo Cabret aux accents nostalgiques, Martin Scorsese recourt pourtant aux techniques les plus évoluées de son temps. Pour la première fois de sa carrière, le cinéaste se laisse en effet tenter par un tournage en 3D, réparti entre Londres et Paris (le film s'est notamment installé à la Bibliothèque Sainte-Geneviève et à la Sorbonne). Un choix qui peut sembler paradoxal à propos d'un film d'époque se déroulant au début du XXème siècle, aux balbutiements du cinéma. Dans un entretien accordé au Guardian en 2012, Scorsese s'exprimait sur la façon dont selon lui, l'usage de la 3D lui a permis de retranscrire le même émerveillement que ne les faisaient les films de Méliès, mais aussi ceux de la première vague du cinéma hollywoodien en trois dimensions dans sa jeunesse des années 1950/1960.
"Chaque plan permet de repenser le cinéma, de repenser la narration et comment raconter une histoire avec une image. Je ne dis pas qu'il faut lancer des javelots vers la caméra ou de l'utiliser comme gimmick, mais elle est libératrice. C'est un vrai Rubik's Cube à chaque fois que l'on imagine un plan, que l'on fait un mouvement de caméra. Mais il y a une vraie beauté à cela. Les gens ressemblent à... des statues mouvantes. Ils bougent comme des sculptures si les sculptures pouvaient bouger. Comme des danseurs".
À travers l'usage de la 3D, Scorsese entend ainsi dresser un pont entre deux époques du cinéma séparées d'un siècle et donner plus de vie à ce passé plus lointain par les ressources du cinéma. Le tout à l'image, selon ses termes, de l'oeuvre des peintres cubistes : "Si vous faîtes attention aux portraits de l'époque du cubisme, vous verrez le portrait d'une femme qui ressemble à un projecteur", poursuit-il pour le Guardian.
Un souci de concilier passé et présent du cinéma qui fut en partie payant puisqu'il permit au film de faire une razzia sur les Oscars techniques. Nommé onze fois en totalité, Hugo Cabret remporta cinq statuettes, en majorité liées à l'identité visuelle du film (meilleure photographie, meilleure direction artistiques et meilleurs effets visuels). Une reconnaissance accentuée par le Golden Globe du meilleur réalisateur décerné à Martin Scorsese, le troisième après Gangs of New York et Les Infiltrés. De quoi rattraper en partie l'échec public du film : plombé par des dépassements de budget (on parle d'un budget final de 150 à 170 millions de dollars contre 100 initialement), le film n'en rapporta que 185 millions en salles à travers le monde, et ce malgré les 1,3 millions d'entrées en France.
L'histoire de Hugo Cabret : Dans le Paris des années 30, le jeune Hugo est un orphelin de douze ans qui vit dans une gare. Son passé est un mystère et son destin une énigme. De son père, il ne lui reste qu’un étrange automate dont il cherche la clé - en forme de cœur - qui pourrait le faire fonctionner. En rencontrant Isabelle, il a peut-être trouvé la clé, mais ce n’est que le début de l’aventure…
Hugo Cabret est diffusé ce soir à 20h55 sur France 3.
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