En 2014, Première rencontrait l'acteur de Qui vive et Hippocrate. Flashback à l'occasion de la rediffusion du film de Thomas Lilti sur France 5.
Ce soir, c'est soirée cinéma sur la 5e chaîne : Hippocrate sera suivi d'un documentaire inédit sur Jean-Luc Godard intitulé Godard par Godard. Notre critique est à lire ici, et ce portrait du cinéaste est déjà visible en replay, gratuitement en s'inscrivant sur France.TV.
En 2014, Première avait rencontré Reda Kateb à Cannes, juste avant que ce drame hospitalier rencontre un grand succès critique, au point d'être décliné en série. Nous repartageons cet entretien, entrecoupé d'autres interviews de l'acteur, recroisé depuis sur pas mal de films ambitieux.
D'Un Prophète à Hippocrate : L'ascension discrète de Reda KatebReda, tout le monde s’accorde à dire que c’est TON Cannes.
Ouais, on me l’a déjà dit. Mais je ne sais pas trop ce que ça veut dire et surtout ce que je peux dire.
Ce que ça veut dire ? Tu as trois films ici, dont un avec le Goz, des premiers rôles… Il se passe quelque chose, non ?
Oui… Mais tu sais, moi il se passe des trucs tous les jours dans ma vie. J’ai pas d’ambition carriériste. Je me dis pas que je dois absolument exploser et que la médiatisation est une bonne chose. Là, c’est juste trois films à Cannes, le reste… Ma nourriture c’est pas ma carrière, c’est des beaux scénarios, des beaux films et je suis vraiment ravi de partager ces histoires qu’on a imaginées avec toutes les équipes…
Pardon, mais, c’est la fatigue qui te fais dire des trucs pareils ?
Ah ah… Tu sais ça sonne peut-être naïf, mais c’est comme ça que je vois ce métier. Ce matin, quand je me suis habillé je me suis dit : je vais à Cannes, présenter Qui Vive, je vais passer la journée à faire des interviews et je rencontrerai le public. Ce sera cool. Après, tous les journalistes me posent la question de l’explosion, de la notoriété soudaine. Ouais, il se passe un truc. Quoi ? C’est à vous de le dire. Moi je joue dans des films.
Parlons-en alors. Qui Vive ?
C’est pour ça qu’on est là.
Comment abordes-tu ce rôle ?
L’essentiel, c’était la notion de réalité. La volonté d’être juste par rapport à l’histoire, à l’environnement, à la réalisatrice et aux partenaires. Et puis moi, je raisonne souvent en termes de rythme. Trouver le bon tempo de jeu et de dialogue. Et ce qui m’intéressait aussi c’était de raconter la vie de gens qu’on ne voit pas tellement dans le cinéma d’aujourd’hui. Ne pas parler que de moi…
Une manière de se mettre à l’écart ? En retrait ?
Pas à l’écart, parce que je serais bien con de ne pas voir que je suis au centre du dispositif. Mais pas au centre de mes préoccupations.
Je voulais revenir à la notion de justesse. Un truc me frappe dans Qui Vive, c’est la manière dont tu portes le costume.
Je suis content que tu me parles du costume, parce que pour un acteur, l’habit fait le moine. Dans Hippocrate, si je mets la blouse et que le réalisateur (lui-même médecin) est persuadé que je suis docteur, alors je vais avoir cette conviction et c’est gagné. Le costard de l’agent de sécurité, mal taillé, maladroit qui n’est pas du Lanvin, c’est le costume du métier. Et c’est amusant parce que je me suis rendu compte que pour aborder un personnage, moi j’ai souvent besoin du costume et du métier. Pour la justesse… Si je vois quelqu’un qui joue un médecin et qui ne sait pas comment prendre un stéthoscope, il pourra donner toutes les émotions du monde derrière, je ne viendrai pas, je ne serai pas avec lui. C’est hyper concret.
Et le rythme ?
C’est le déplacement, c’est le flot, les ruptures dans les mouvements, les dialogues… C’est un peu comme en musique.
C’est théorique ou instinctif ?
C’est un aller retour entre les deux. Tu connais Yoshi Oida ?
L’acteur de Peter Brooke ? Oui. Dans un de ses livres, L’acteur invisible, il expliquait qu’il voulait faire ce métier pour disparaître et pas pour apparaître. Qu’en fait il voulait être ninja. Enfant, sa mère lui faisait croire qu’elle ne le voyait pas… C’était un jeu entre eux, mais Yoshi y croyait. Et il s’est dit que s’il croyait qu’il disparaissait, il arrivait à le faire croire aux autres… C’est ce qui a décidé de sa vocation. Bref, Yoshi parlait des différentes nationalités d’acteurs et il disait que, pour lui, ceux qui maitrisaient le mieux la physicalité du jeu c’était les Anglais. Qu’ils arrivaient à unifier le physique et l’intellectuel. Un acteur c’est un être de chair d’abord. Du coup, il faut qu’il y ait de l’incarnation, mais en même temps on doit jouer avec ce qu’on incarne, c’est la notion de jeu. Ca doit donc passer par le cerveau. Yoshi disait que les Français sont trop dans l’intellect, les Américains (surtout la Méthode) trop dans le physique ou une psychologisation… mais chez les Anglais y a une balance, un équilibre. Ce sont des êtres très bruts et en même temps très raffinés.
C’est drôle de projeter une telle intensité physique, brute et de t’entendre théoriser à ce point…
C’est quand même mon métier. Mais en réalité je n’ai aucune méthode, aucune réflexion prédéfinie. J’adapte mon jeu et mon approche en fonction de chaque nouveau rôle. J’essaie de remettre à chaque fois les compteurs à zéro et d’être au plus juste du moment et de l’histoire qu’on a à raconter.
Tu parlais du théâtre, de Brooke. Ca nourrit cette réflexion ?
Mon père était comédien et j’en ai beaucoup fait avant le cinéma. J’ai envie d’y retourner pour défendre un texte. C’est la grosse différence pour moi avec le cinéma. Au cinéma tu défends des situations, du réel - il y a parfois des dialogues bien écrits attention, mais on le change en cours de route parfois, pour coller à l’humeur, au moment. Alors qu'au théâtre tu joues des humanités qui sont plus grandes que toi dans des formes plus grandes que toi.
J’ai l’impression que tes personnages dans Hippocrate et dans Qui Vive se répondent. A chaque fois, tu es le pivot moral du film, un type qui ne veut pas céder à la corruption et tente de vivre selon des règles…
C’est intéressant… Possible. J’ai envisagé les deux rôles complètement différemment. On les a tournés en plus à des moments différents. C’est marrant que tu puisses faire des rapprochements. Pour moi, ce sont deux vies, deux personnes différentes. J’ai du mal à tracer des liens, mais je sais que les journalistes savent bien le faire.
Comment nourris-tu les rôles que tu joues ?
Y a une part de travail très concret. Pour Hippocrate, on a passé une matinée dans un service d’hôpital avec Vincent Lacoste. On était déguisés en étudiant et personne ne nous a reconnus. Pour Qui Vive, j’ai fait pas mal de petits boulots et j’avais des copains vigiles à l’époque. Je connais bien le truc qu’il vit parce que quand je cherchais à être comédien, j’ai un peu galéré comme ça. Y avait des résonnances. Et dans les préparatiions, j’aime bien tourner autour. Par exemple, j’apprends toujours mes scènes pour le lendemain, j’apprends pas le script en entier. Si je fais une préparation je préfère que ce soit le plus en amont pour que ça ait le temps d’infuser. Pas que ce soit une copie, une imitation… L’idée c’est d’arriver sur une journée de tournage avec un sentiment de vertige. C’est ça qui me fait me lever le matin.
Dernière question, ton moment transcendant à Cannes ?Je n’ai pas besoin d’aller chercher loin. C’est évidemment la présentation d’Un Prophète parce que c’était ma première fois ici et que c’était un film qui a marqué beaucoup de gens. Y avait tout le monde : Tahar Rahim, Adel Benchrif, Leila Bekhti… C’est un moment hyper important parce qu’on a entendu les portes du cinéma grincer et s’ouvrir un peu. Ensemble, tous ces gens qui avaient travaillé sur ce film. Et puis c’est en soi un moment très solennel et important dont je ne savais rien : par exemple, je ne savais pas qu’à la fin de la projection la lumière se rallumait et qu’on était soit applaudi soit hué…. Je savais que ça pouvait être terrible une projection cannoise, même si là, à ce moment, on savait que le film était particulier et attendu, mais dans le bon sens du terme. Et on a vraiment reçu l’amour du cinéma. Ca a été comme une ivresse. Une ivresse qu’il fallait tout de suite mesurer. Je ne boude pas l’ivresse, mais je connais mes limites. Je sais qu’il y a le décollage et les atterrissages et qu’il faut assurer le retour sur terre… Tu parlais de moment transcendant, c’est exactement ça. Ca nous a dépassés, c’était plus fort que nous, que nous tous. Et il fallu gérer l’après très vite.
Interview Gaël Golhen
Extrait d'Hippocrate de Thomas Lilti avec Vincent Lacoste, Reda Kateb et Jacques Gamblin, à 21h sur France 5 :
Hippocrate pousse un cri d’alarme [critique]
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