Que vaut le Ultimate Cut du péplum Caligula de 1980 avec Malcolm McDowell qui sort enfin en salles ? Débarrassé de la plupart de ses atours pornos, le film devient un chaînon manquant entre le Satyricon de Fellini et la série Rome, ou, comme l'explique son producteur Thomas Negojan, "une BD Métal hurlant, un film de Jodorowsky"...
Caligula The Ultimate Cut sort le 19 juin en France, un an après sa présentation au Festival de Cannes 2023 dans la sélection Cannes Classics.
Ce n'est pas un scoop : en 1976, le tournage de Caligula a été un enfer -en anglais, on ajouterait tout de suite au titre le qualificatif commode infamous, c'est-à-dire célèbre de façon maléfique. Cliché pour cliché, on pourrait alors résumer en français que Caligula est incontestablement "sulfureux". Produit par Bob Guccione, le fondateur du magazine pornographique Penthouse, tourné pour "baiser les Américains et piquer leur pognon", selon sa star Malcom McDowell citant le réalisateur Tinto Brass. L'idée de faire jouer à l'acteur -alors auréolé d'une aura sulfureuse post-Orange mécanique- le rôle d'un empereur romain dingo du premier siècle de notre ère, capricieux et assoiffé de cul, aussi synonyme d'infamous que Néron dans la culture pop.
A l'arrivée, si Caligula a autant marqué les esprits, c'est parce qu'il s'agit d'un film sans véritable auteur et qui est devenu un vrai monstre. Le script originel de Gore Vidal ? "Trop homosexuel" d'après Bob Guccione, qui a aussi profité du départ de Brass pour tourner une tonne de séquences porno et les intégrer n'importe comment dans le montage final. Le décorateur Danilo Donati (Satyricon, Flash Gordon) créait les décors sans avoir lu le scénario. McDowell a comparé son expérience de tournage à un viol. "Des cris, des blessures, du sang partout, la cause reste cachée ; du reste, le hasard mène tout." (Tacite, Annales). Est-ce le hasard qui a mené le tournage de Caligula à sa perte ? Ou l'imbrication d'un système (l'exploitation porno en plein boom dans les années 70) dans un autre (le blockbuster à vocation internationale) ? Est-ce que la perversité des visions de Caligula n'est-elle pas inhérente au péplum (même un satané bigot comme Cecil B. De Mille aimait montrer les chrétiens se faire bouffer par des lions dans l'arène, dans Le Signe de la croix en 1932) ? Tortures et scènes de cul s'enchaînent sans grande cohérence au milieu de grandes scènes de tirades sur le pouvoir et la luxure, déclamés par des acteurs plus ou moins paumés (même Peter O'Toole a l'air rincé) dans des décors crades et sur-éclairés. Résultat, "un Caligula de grand guignol qui lance la vague soporifique du péplum porno", résume Hervé Dumont dans son monumental ouvrage L'Antiquité au cinéma, avant de nous présenter les inévitables copies érotiques caliguliennes qui ont suivi jusque dans les années 80 (Les Folles nuits de Caligula, Una virgen para Calígula, etc.). Ceci dit, les curieux ont été un peu au rendez-vous : rien qu'en France, Caligula a vendu 1,4 million de billets en plein été 1980 avant que L'Empire contre-attaque arrive en août pour tout rafler. Et le plus gros carton de l'année a été un autre genre d'orgie : La Boum avec Sophie Marceau.
2023 après Jésus-Christ. Voici qu'à Cannes ressuscite Caligula, tout aussi infamous mais auréolé de ces mots magiques : The Ultimate Cut. Ou, dans la langue d'Astérix, "Montage Ultime". Verdict ? Bien allongé (on passe de 2h35 à un de 2h57), bien restauré (la copie est nickel), délesté des musiques de Prokofiev et Khatchatourian et lesté d'une nouvelle musique planante, mieux ordonné, précédé d'un joli générique animé signé par le grand Dave McKean (l'illustrateur des couvertures de Sandman de Neil Gaiman), cet Ultimate Cut donne à Caligula une indéniable cohérence. Le film respire mieux, et paraît presque tout simplement pas trop mal écrit, pas trop mal dirigé. Selon son producteur, Thomas Negovan, l'idée d'un Ultimate Cut a germé en 2019, lorsque Penthouse lui a demandé de fouiller dans les archives de Caligula : soit "96 heures de film à explorer", d'après Thomas, qui a obtenu l'aide de Gianfranco Lui, le réalisateur qui a remplacé Tinto Brass après son départ, sur le montage. Brass, 90 ans, n'a pas souhaité collaborer à cet Ultimate Cut, pas plus que Malcolm McDowell. Et pas pour des raisons de santé : "le film est un trop mauvais souvenir pour eux, rien que le mot Caligula suffit à les repousser", explique Thomas. Qui est l'auteur de Caligula ? Le mystère reste entier. Pour Thomas Negovan, éditeur américain de livres d'art vivant à Chicago, la solution a été de se mettre du côté des acteurs et des actrices. Et d'orienter le Ultimate Cut autour du parcours de Caligula, afin de donner au film une direction : celle d'un gamin borderline et incestueux qui va devenir empereur, mais aussi une espèce d'initiation mystique dont le point culminant est à la fin du film la reproduction du mythe d'Isis et Osiris par Caligula et sa femme Caesonia (Helen Mirren, aussi géniale que dans Excalibur). "En travaillant sur le montage, j'ai réalisé que Caligula était en fait un film hermétique ! Je l'ai considéré comme un film de Jodorowsky, comme une BD parue dans le magazine Métal Hurlant..."
Caligula The Ultimate Cut est-il ainsi à ranger à côté de La Montagne sacrée ? Plutôt entre le Satyricon de Fellini (pour les décors et la relecture claustro-théatrale de Suétone) et la série télé Rome (pour les phallus partout et la vision full frontal du cul décadent chez les Romains), et ce n'est quand même pas rien. Ceci dit, même nettoyé, ordonné et bien peigné, Caligula reste un objet 70s crado -l'Empereur viole un couple pendant la cérémonie de mariage avec force détails- et il ne devient pas le film grandiose qui aurait pu se cacher sous son épaisse couche de vermine. Le film a toujours souffert de son absence totale de direction, et l'arrivée d'un producteur -d'une vision- débarque un peu trop tard. On a toutefois véritablement l'impression de découvrir un nouveau film, peut-être un peu plus radical, mais toujours aussi monstrueux. Cet Ultimate Cut n'aura sans doute pas vocation à être aussi Ultimate que prévu. On prédit plutôt la coexistence avec le cut d'origine, bordélique et putassier, et finalement complètement raccord avec son sujet, et qui pourra ainsi être facilement vendu comme "le montage porno original", et qui aura aussi ses adeptes. Le hasard mène tout.
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