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Puisque David O. Russell aime tourner avec les mêmes stars, et qu'un foyer dysfonctionnel est au centre de Joy, on en a profité pour dresser un portrait de famille en compagnie du cinéaste et de ses acteurs.

En promotion, les plannings serrés obligent parfois les équipes de films à rationner leurs contacts avec la presse : les journalistes obtiennent un soupçon du réal', une pincée de la tête d'affiche, quelques bribes du reste du casting. Mais dans le cas de Joy, grappiller quelques minutes avec chacun présentait une sacrée aubaine : c'était l'occasion de dresser un portrait de famille, de passer en revue la place de chaque membre du clan formé par O. Russell depuis Happiness Therapy autour de Jennifer Lawrence et Bradley Cooper. De fait, la famille tient une place de choix dans son cinéma. Elle est son sujet premier, lui qui aime filmer les crêpages de chignon au sein de smalas soudées ou recomposées, de Fighter à American Bluff. Et sa manière de tourner, elle aussi, rappelle le fonctionnement d'un doux foyer : dans Joy, qui brosse une fresque familiale en même temps que le portrait de la self made woman Joy Mangano (l'inventrice de la "serpillère magique"), il retrouve J. Law, Cooper et Bob De Niro, et accueille quelques petits nouveaux à sa généreuse tablée (dont Isabella Rossellini et Edgar Ramirez). De quoi tracer un bel arbre généalogique en leur compagnie.

David O. Russell : le père libertaire

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Les héros comme il les aime sont des oiseaux tombés du nid : à l'image de Joy ou du boxeur falot incarné par Mark Wahlberg dans Fighter, ils s'extraient de la mélasse familiale, dans laquelle ils font figure d'outsiders, et parviennent in extremis à sauver leur foyer. Logiquement, le grand ordonnateur de ces tableaux de famille règne sur son équipe en père tutélaire, mais aussi en papa destroy. "Pour filmer une famille, vous devez vous réinventer vous-mêmes en patriarche. Est-ce que je suis un bon père ? Autant vous dire que je m'en fous ! Parce que je ne crois pas au mythe américain véhiculé par ces vieux feuilletons comme 'Papa a raison' : le rôle du père n'est pas de régenter un foyer modèle.  Une famille qui s'aime vraiment est dysfonctionnelle, c'est ce que racontent mes films. Et je sais que vous pigez ça mieux que quiconque, en Europe, surtout dans les pays latins où les rapports familiaux sont plus forts et plus instinctifs : on s'empoigne et on se dit les choses, très loin de l'hypocrisie et des tabous de la famille anglo-saxonne. Une scène de dispute marche mieux si la famille est italo-américaine, comme celle de Joy : c'est plus spontané ! Je sais de quoi je parle, je viens de là aussi. Tiens, comment dit-on 'famille dysfonctionnelle', en français ?"

Robert de Niro :  le "godfather" italo-yankee

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Après un second rôle mémorable dans le très scorsesien American Bluff, Bob De Niro fait sa véritable entrée dans l'écurie O. Russell. Il joue le père italo-américain de Joy, pilier de la famille s'efforçant de rester stable malgré les frasques hystériques de sa femme (Virginia Madsen, la frangine de Michael).  "L'atmosphère sur American Bluff avait piqué ma curiosité. Je me suis dit : comment fait David pour fédérer son équipe, comme s'il était en train de tourner un film d'étudiant à dix mille dollars ?  Je n'avais jamais vu ça à Hollywood depuis très longtemps. Donc  j'ai eu envie de m'intégrer à sa troupe. Et jouer le père de Joy s'imposait naturellement pour moi, puisqu'il est question d'un famille aux racines italo-américaines, et que la confrontation de l'héritage italien avec les moeurs de l'Amérique est un sujet que je maîtrise. Ne serait-ce qu'au travers des personnages que j'ai approchés dans ma carrière." Entre Le Parrain 2 et Il était une fois en Amérique, on voit plutôt à quels rôles il pense. Mais pense-t-il aussi à Mon beau-père et moi, dans lequel il était déjà un patriarche contrarié par le manque de discipline des siens ? "Non, là, je ne vois pas bien où serait le rapport avec Joy". Ok, on ne contredit pas ce papa-là.

Edgar Ramirez : le gendre idéal

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L'interprète de Carlos est ici le gendre du couple De Niro-Madsen. Ou plutôt l'ex-gendre, resté proche de la famille Mangano alors que Joy débutait son ascension d'entrepreneuse aux dents longues. Mais l'adjectif "idéal" ne colle qu'à moitié. "Ce qu'il y a de beau dans ce personnage, c'est qu'il reste optimiste dans la lose : c'est une sorte de chanteur raté qui vit dans l'ombre de son ex-femme tandis qu'elle part faire fortune. Et pourtant, fondamentalement, ce n'est pas un type amer. Si c'est un gendre "idéal", c'est au sens où il s'incline face au tempérament corsé de sa belle-famille… Pour donner vie à celle-ci, David nous a effectivement dirigés en recréant le climat typique d'une famille italo-américaine. Il a une sorte d'instinct de la communauté, un peu comme le directeur d'une compagnie de théâtre ou le meneur d'une grande famille de saltimbanques (rire). Le fait de tourner tout l'hiver dans cette baraque, de me réchauffer au coin du feu avec lui, Jennifer et le reste du casting m'a permis de le comprendre".

Isabella Rossellini : ma belle-mère et moi

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Dans le film, elle finance les serpillères révolutionnaires de Joy et séduit le père de cette dernière, qui retrouve auprès d'elle ses attaches italiennes. "Pour s'insérer dans la 'famille O. Russell', comme vous dites, je crois qu'il faut d'abord être une femme forte : c'est ce qu'il aime filmer. Dans Joy, les hommes sont faibles, instables, et cela pousse les épouses, les filles et les mères à leur sauver la mise. Je ne sais pas si nous avons formé une famille, mais en tout cas, nous étions comme une sorte de gynécée chaperonné par David. Il correspond à ce qu'on peut appeler sans ambiguité un féministe."

J. Law et Bradley Cooper : les enfants prodigues

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Le duo gagnant Lawrence/Cooper manquait à l'appel ce jour-là, mais David O. Russell nous confirme avoir instauré un rapport filial avec sa muse et son meilleur soldat. "Je ne suis pas exactement leur père tutélaire, puisqu'ils étaient déjà stratifiés avant qu'on fasse Happiness Therapy. Mais, après deux films ensemble, Jennifer et Bradley sont devenus comme mes gosses : ils savent très bien ce que j'attends d'eux, et en même temps ils s'imposent en transgressant les règles. Leurs personnages dans Joy se nourrissent de ce qu'ils ont joué précédemment chez moi : dans Happiness Therapy, Bradley cherchait à se tirer d'une famille complètement foutue pour s'accomplir, et c'est Jennifer qui lui permettait d'y arriver. Dans Joy, c'est tout l'inverse, même si le personnage de Brad est un business man roublard. Quelque part, c'est l'histoire de Bradley qui renvoie l'ascenseur à Jennifer…"

Bande-annonce de Joy, en salles françaises depuis le 30 décembre :