DR

Le cinéaste britannique reprend le flambeau de David Fincher en mettant en scène la prose unique du scénariste Aaron Sorkin.

Danny, ça vous va si on décrit Steve Jobs comme la « suite » de The Social Network ?
Totalement ! On m’a dit : « Surtout, il ne faut pas que tu parles de The Social Network pendant la promo. » Mais bon, c’est compliqué quand même... Parce que Steve Jobs, c’est l’épisode 2 ! D’ailleurs, à mon avis, Sorkin écrira un troisième volet un jour. Et je
 suis super fier de faire partie d’une trilogie initiée par Fincher. J’aurais pu refuser, par peur d’être comparé à lui. Mais, au contraire, ça me va très bien. The Social Network est un grand film.

Comment réagit-on en tant que cinéaste quand on découvre 
un script de Sorkin ? C’est intimidant ?
C’est le mot, oui. Il faut savoir qu’un script normal, c’est 
120 pages, grand maximum.
 Un mélange de descriptions 
et de dialogues. Sorkin tape dans les 180 pages, noircies 
de la première à la dernière de dialogues longs comme le bras. Sans aucune indication. À part, en l’occurrence, le fait que le film était découpé en trois actes. Trois scènes, six personnages, le tout en temps réel. « Intérieur jour », et bla bla bla bla... Au début, c’est l’angoisse. Tu te dis : « C’est une prison, je ne vais rien pouvoir faire. » Mais 
en fait, c’est l’inverse. C’est 
une invitation. Une provocation. Quelque chose d’incroyablement libérateur. Un cadre dans lequel tout devient possible, pour les acteurs comme pour le metteur en scène. De tous mes films c'est le plus « mis en scène ». Les fondations de la mise en scène doivent être très solides. Parce que sans ces éléments, cela deviendrait alors juste une pièce de théâtre. Une super pièce. Mais une pièce.

Aaron Sorkin:  "Un biopic c'est au mieux une version romancée d'une page Wikipédia"

Qu’y a-t-il de plus compliqué avec ses dialogues :
 le rythme ? le sens ?
 la combinaison des deux ?

Tout repose sur le rythme. 
C’est d’abord le problème des acteurs. Certains n’arrivent pas à dire du Sorkin, c’est au-dessus de leurs forces, ils ne chopent pas le truc. Mais une fois que tu as compris comment ça doit sonner, alors le sens émerge. D’ailleurs, quand tu regardes les dialogues dans le détail, ils ne sont pas si éloquents. Bon, certes, personne ne parle ainsi dans la vraie vie, mais ce n’est pas aussi sophistiqué qu’on ne le pense. C’est le rythme, la cadence, le tempo, la façon dont le flux de la pensée est rendu, qui rendent le tout réellement exceptionnel.

Cela renvoie à l’âge d’or
 du cinéma américain...

Oui, la screwball comedy. Plus personne n’écrit de la sorte aujourd’hui, à part peut-être les Coen. C’est un pur langage de cinéma.

L’emblème du style Sorkin, c’est le walk and talk. Une pensée en mouvement. D’ailleurs, dès la première page de la biographie de Steve Jobs par Walter Isaacson, on apprend que Jobs aimait parler en marchant...
Oui, et le truc génial de The Social Network, c’est justement que les personnages étaient assis tout le temps ! (Rire.) Tu te rends compte ? On décrit encore parfois Fincher comme un 
« clippeur », mais, en fait, c’est le grand cinéaste classique de notre temps. Regarde bien les mouvements de caméra dans The Social Network : très rares, très économes. Et quand un personnage se lève, c’est comme un coup de tonnerre !

Dans Steve Jobs, les personnages sont rarement assis...

Oui, en lisant le script, j’ai tout de suite senti qu’il fallait les remettre debout. C’est le standing-up movie. Cela signifie-t-il pour autant qu'ils devaient marcher tout le temps ? Non. Mais la caméra, elle, est en mouvement permanent. Au début du film, Jobs est jeune, il veut changer le monde, il ne tient pas en place, alors la caméra le suit partout. On a beaucoup utilisé le steadycam qui donne une grande liberté aux acteurs. Tout le film est un mélange de liberté et de discipline.

Vous avez regardé les séries qui ont établi le style Sorkin à la télé ? À la Maison-Blanche, par exemple ?
Non. Seulement des extraits.
 Je me suis surtout intéressé aux cinéastes. Fincher. Pas pour le copier, juste pour reprendre le flambeau sereinement. Mais À la Maison-Blanche, ça dure... Quoi ? Soixante heures ?

Plus que ça...
Tu finis « sorkinisé » ! C’est
 le risque. Les acteurs le ressentaient ainsi. À la fin de la journée, ils se mettaient à parler comme lui. Il faut pouvoir le sortir de ton système, reprendre une vie normale !

Fincher avait exprimé son souci sur la difficulté de marketer un tel film. Cela paraissait surprenant de la part de quelqu’un qui a réussi à transformer un film sur Facebook en carton, mais bon... Comment expliquez-vous l’échec de Steve Jobs aux États-Unis ?
Je ne sais pas... Peut-être
 qu’on a surestimé l’intérêt que les gens portent à cet homme. On n’a peut-être pas très bien vendu le film non plus. On 
s’est vu trop gros, trop vite, en sortant dans trop de salles à la fois. C’est un film très exigeant, il aurait gagné à être mieux 
« expliqué » au public. David Fincher est vraiment très doué sur ces questions. Et là, une fois encore, il avait raison.

Steve Jobs de Danny Boyle avec Michael Fassbender, Kate Winslet, Jeff Daniels, Seth Rogen sort le 3 février dans les salles.