Toutes les critiques de Time Code

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Time Code est avant tout un dispositif d'enregistrement numérique utilisé par Mike Figgis. Le film dure 93mn, parce que c'est le temps d'une cassette digitale. Il est filmé en plan séquence par quatre caméras disposées selon trois pôles seulement, trois situations spécifiques dans la ville de Los Angeles. Il réserve ainsi, sur les quatre points de vue, un espace indéterminé, polymorphe, qui serait peut-être l'espace-temps du film, pour en assurer les jonctions, et donner du lest à sa chorégraphie générale.
    Les quatre caméras se retrouvent à l'écran sous forme de quatre cadres, ou fenêtres indépendantes, dont les actions respectives, qui se croisent, font passer les personnages de l'une à l'autre. Ces actions interagissent dans l'esprit du spectateur puisqu'elles apparaissent comme autant de sources d'information sur une même situation globale. Cette situation globale est un jeu mêlé des questions du temps, de l'amour et du travail pour les personnages qui sont, dans le temps réel du plan-séquence, aux prises avec des histoires d'amour et de travail. On a : une voiture dans laquelle Rose (Salma Hayek) et son amie (Holly Hunter) se rendent à la maison de production où Rose doit passer un casting ; la maison de production même où il est question de projets, de réunions, de bouts d'essais et de projections ; les alentours de la maison de production avec la rue, une librairie, un appartement et le cabinet d'un psychothérapeute. La relation de ces espaces entre eux est ordonnée par la narration, actualisée par les déplacements des personnages et leur passage d'un écran à l'autre.Ce que nous voyons, et qui crève l'écran, c'est la tension du processus mis en place par Mike Figgis. Pris dans le plan-séquence, les acteurs se livrent à une performance physique couplée avec celle des cadreurs qui doivent, eux aussi, tenir la longueur des 93 minutes. Le tournage a consisté en une série de répétitions des quatre plans-séquences, et donc, à chaque fois, de l'ensemble du film. Il vérifie parfaitement une idée qu'ont eu les premiers théoriciens du cinéma, notamment Walter Benjamin, selon laquelle cette technique d'enregistrement du mouvement, parce qu'elle était reproductible, allait engager le monde dans un processus quasiment sportif de performance et de perfectionnement de la performance. C'est en effet ce qui se passe ici. Au cours de la réalisation, par le visionnage des différentes versions du film, la réflexion, la discussion, chacun de ses participants a pu procéder à un ajustement de sa performance au jeu des contraintes, dans la bonne observation desquelles, Time Code, trouve son accomplissement.C'est la cruauté, la crudité du dispositif qui rend le film passionnant. Livrés au regard neutre de la caméra, les personnages sont isolés par ce regard. Chacun dialogue avec sa propre image invisible au moment où l'objectif l'absorbe et l'enregistre, avant de dialoguer avec l'autre, son voisin. Time Code fait penser au titre d'une peinture de Marcel Duchamp, La Mariée mise à nu par ses Célibataires mêmes. Comme dans le monde de Duchamp où la condition du célibataire, outre son désir de mettre la mariée à nu, est de "broyer son chocolat tout seul", les acteurs doivent aussi modeler, tout seuls, leur image, pour qu'elle s'intègre au processus du film. Comme si, dans un monde où l'enregistrement et la reproductibilité dominent, toute existence avait son double enregistré. Comme si ce double était devenu le principal interlocuteur d'une humanité à la fois narcisse et schizophrène. On se trouve ici au moment pile où l'amour de soi vire au cauchemar. Quand, après avoir penché assez vers le reflet magnifique, on est pris dans l'immensité obscure, aveugle, insensée du code d'enregistrement à quoi il renvoie. Il n'est pas de plus entière, ni de plus cruelle mise à nu, que celle que les célibataires de Time Code sont en mesure de produire sur eux-mêmes comme sur l'objet de leur désir, la "mariée", qui n'est dans cette configuration qu'un pôle supplémentaire de la contemplation, ou plutôt de la surveillance, de soi.C'est la tension créée par une telle auto-surveillance qui est, finalement, sujet du film de Mike Figgis. Producteur d'une forme ni tout à fait nouvelle, ni tout à fait déjà vue, le réalisateur nous offre une variation assez puissante sur le thème, porteur en ce moment, de Big Brother.Time code
    De Mike Figgis
    Avec Salma Hayek, Holly Hunter, Kyle MacLachlan
    Etats Unis, 2000, 1h37.